Cela va faire trente ans que Laurent Saïet a débuté une aventure avec le label Trace Lab, au sortir d’une autre aventure avec le groupe Begin Says - lequel a marqué les amateurs de coldwave française, notamment avec le disque Under The Palm Trees (1989). Depuis, le temps a passé, Saïet a développé son goût pour les ambiances cinématographiques tout en gardant un esprit assez proche de ses débuts, notamment de par ses collaborations fréquentes avec Ben Ritter : un chanteur qui a su conserver un phrasé qui n’est pas sans rappeler Dick Polak (Mecano) ou Samy Birnbach (Minimal Compact).
Dès l’introduction de ce nouvel opus, The Last Man Before Dawn s’affirme clairement comme la suite d’After The Wave (2021). Et même si Edward Ka-Spel n’est plus là, on pense immédiatement aux Legendary Pink Dots. Diction hypnotique, synthés inquiétants, cymbales grinçantes, sax free, piano dissonant, boîte à rythmes vintage, climats sombres et décalés, tout est là déjà dans ce "Contortion" qui offre une entrée en matière déjantée à souhait. Ritter assure le chant et apparaîtra sur pas moins de quatre morceaux, tout comme Mika Pusse et sa voix grave de crooner qui peut parfois faire penser à Von Magnet ou Norma Loy ("The Song of Songs"). Parmi les autres invités vocaux, on notera aussi le mythique Théo Hakola (Orchestre Rouge, Passion Fodder), Damien Van Lede (Pepe Wismeer) et, côté féminin, Mélanie Menu et Tatiana Mladenovitch. Niveau musique, c’est un peu la même équipe que sur le précédent disque avec Quentin Rollet au saxophone, Paul Percheron aux percussions et Thierry Müller à la guitare et aux illustrations.
Comme le titre l’indique, un sentiment crépusculaire et un onirisme ténébreux relient l’ensemble, même s’ils ne sont pas dénués d’humour face à la catastrophe. Les influences sont variées, piochant aussi bien dans l’ambient, le psyché ou le symphonique. Pourtant, un feeling plus rock et dynamique qu’auparavant se dégage ("Under Cover") et aussi un gros héritage de la coldwave des années 1980. La boîte à rythmes de "As Yelly canny Eyes" rappelle le "Nervous Guy" de Tuxedomoon, les rythmiques jazzy et syncopées de Percheron dégagent un feeling très And Also The Trees sans parler de toutes ces voix profondes, parfois plaintives. Le tout est aussi incroyablement mélodieux et plus accessible que ce que le musicien avait proposé précédemment, entre synthpop hallucinée ("Judy"), trip hop dramatique ("Far from the Sun"), slow lynchéen ("Blinding Guru") et mélopées lascives ("Ocean").
Plus on avance dans cette heure de musique, plus les soundscapes s’intensifient. Les cordes synthétiques s’en donnent à cœur joie, les arpèges de guitare nous encerclent, la basse ensorcelle ("Gloomy And Sunday"). Et on se rend compte quand le dernier titre s’achève qu’on a parcouru un sacré trip, et on a juste envie de repartir pour un tour.