Deux suites scindées chacune en quatre mouvements font le menu du nouvel et quatrième opus de l’Américaine et multi-instrumentiste Leila Abdul Rauf (Vastum, Ionophore, Fyrhtu...). Le disque (intitulé Phantasiai, terme issu de philosophie hellénistique) a pour toile de fond la perception du monde préexistant à la pensée, mise ici à l’épreuve à travers la narration d’une transformation : tout part du fantasme destructeur qui bouleverse et désarçonne. C’est l’existant qui est remis en jeu via le premier mouvement, Distorsions In Phantasy, en forme de descente, jusqu’au troublant "Disembodiment", structure conclusive de la première partie. Le premier mouvement vous mène vers l’étape de renouveau : ça, c’est l’affaire du second, The I Emerges, et ses quatre mouvements supplémentaires.
Phantasiai : un récit séquencé mais voué à vous faire vivre l’instant, à le ressentir et l’explorer le plus intensément possible. Effet hallucinatoire. Et la compositrice réussit sa cinématographie : imagée et aux ambiances profondes, la musique (voix, glockenspiel, cuivres, carillon) projette les moments distincts de bouleversement et de flottement intérieur imprimant l’être au gré de sa transformation. Tout démarre comme un rêve éveillé ("Lure"), stabilité incertaine d’un moment dont la coloration, dès le mouvement suivant, se dégrade vers l’obscur, dans le souffle triste de cuivres. Une obscurité accentuée au troisième mouvement par le jeu de voix en flottaison ("Suspension"). Lentement, inexorablement, la dépression s’est creusée. Déliquescence, funéraires effluves.
Une dissipation des brumes, progressive, survient par toute la deuxième partie. L’impression de décoller de l’ancienne réalité surgit plus ouvertement sur le mouvement VII ("Imago & Mirror") et tout se termine dans le clair-obscur du superbe "Cell", final où les voix auréolées de réverbérations font discerner un horizon acceptable. La transformation a eu lieu… à moins que commence nouvelle chimère ? Le mystère garde quelque chose d’impénétrable, et fascine. Artwork, superbe, signé Matthew Jaffe.
