Les Modules Etranges ont achevé leur mue. C'est donc sans étonnement qu'on découvre ces nouveaux titres, dont la teneur bigarrée tient en haleine pendant presque une heure (version CD ou digitale). C'en est fini des atours les plus cold-gothiques-rock (on les retrouve teintés d'indus dans le remix "KHΛOSBLΛCK", mis en œuvre par K H Λ O M Λ И).
Une fois passée l'intro nommée « Chaos black » (la plupart des pistes tirent leurs titres de couleurs), "Bubonic Brown" convoque les esprits chamaniques des sectes folles des années 1970. Guitare dark folk, bourdon, instruments joués de façon païenne et chants envoûtants se superposant, une certaine magie noire prend instantanément. C'est un cérémoniel parfaitement enregistré, dont les sons ont chacun l'ampleur et la place méritées (la version démonisée et plus primitive du remix est simplement terrifiante !).
"Graveyard Earth" se conjugue dans la sensation et l'atmosphère, agressif et déjà non-humain, avec un chant en bande inversée, tandis que les flutiaux et sons champêtres du trop court "Scorpion Green" atteignent cette dimension pastorale et élégiaque qu'on guettait autrefois dans This Mortal Coil. "Cerulelean" impressionne avec son super sample de film (remake du Village des Damnés par Carpenter) dans lequel un enfant explique à un adulte les rudiments d'un nouveau monde où la survie passe par le rejet et le combat pour la vie. Rapport de force, cruauté, exploitation des autres en lieu et place de l'adaptation ou des émotions, ce constat cruel est tempéré par le psychédélique interlude "Badmoon Yellow", tout pétri de réminiscences seventies (on y retrouve Maxime Gall à la guitare, comme pour "Bubonic Brown" et "Fortress Grey").
Un poil d'expérimentation proto no-wave hippie-dub avec "Snakebite Leather" et des cloches maléfiquement recouvertes sur "Fortress Grey", une basse funk à la Tuxedomoon sur "Cotton Candy" (chanté par Johnny Northridge), les volutes Cocteautwineuses de "Razzle Dazzle", les cordes en répétition de "Ballet Slipper" portées vers Throbbing Gristle ou Coil, un final indus-noise avec "ꟻORTRESS ӘREY"... Les comparses Baba Yaga et Osiris font leur marché au petit bonheur et sont aujourd'hui des touche-à-tout plus que pertinents.
Il est rare qu'on puisse conseiller une version digitale plutôt que son pendant physique, mais Synaesthesis est un disque qui se prête très volontiers au mode lecture aléatoire tant sa succession d'ambiances figure un film. Avec ce procédé, que ne permet pas le vinyle, le scénario se démultiplie et permet des découvertes renouvelées.