Lisieux creuse les possibles dessinés avec Psalms Of Dereliction (2019) et l’inaugural I (2016). Sur ce nouveau format long composé à cheval sur trois ans et paru fin 2022, le quatuor originaire de Toulouse affine et démultiplie les options : Abide! est un disque marqué à la fois par l’accessibilité pop des mélodies ("Chant de Fer", avec Antoine Rault, grâce et puissance contenue), une variabilité des ambiances et une ouverture de la colorimétrie. Une gravité empreinte de feeling religieux et mortuaire naît par exemple des aplats de "Déluge" (où est invité Matthias Jungbluth). Les masses de claviers et une rythmique lente et oppressive renvoient pour leur part, de façon subliminale, au Cure de 1982, quand les voix de Cindy restent dans un spleen pop. C’est l’un des morceaux forts du disque, qui en compte beaucoup, et où Lisieux profite de l’invitation faite à Jungbluth pour instiller dans le bloc de givre une substance abrasive.
La vibration religieuse agit plus que de manière subliminale : elle imprègne une part de l'ensemble et ressurgit (optique sons d’orgue pour le massif et cinématographique "The Wake"). La martialité reste, elle, de mise mais ne devient pas ce voyant gimmick marqueur de la scène neofolk : la création de Lisieux est plus racée qu’elle ne tire vers le "genré", et le groupe suit bien davantage son instinct qu’il ne répondrait à on ne sait quel cahier des charges. Les voix de Cindy vous ramènent à un périmètre entre rêve et enfance, et leur contraste avec la solennité des aplats musicaux crée une tension paradoxale et fascinante ("Herb Harp"). Sans velléité austère, tout sauf facilement classable, cette collection 2022 confirme le potentiel stylistique et la force d’intention d’un collectif pour le moins atypique. Ses écritures en appellent au sensible, à l’intériorité. À ces contradictions qui nous travaillent.
Abide! a été masterisé par Michael Lawrence (Swaermian, Ulver, C93, Richard Moult).