Le plaisir de retrouver Lith est complet. Le nom, depuis 1998 (2003 pour ma part avec la compilation QFG), est gage de qualité dans le son et les ambiances proposées. Lith est aussi associé à la certitude d'un album complet, pensé, pesé, mesuré. Lorsque le disque sort, l'orfèvre David Vallée accepte de ne pas aller plus loin et de laisser ses compositions vivre leur vie.
Commence alors le plaisir de l'auditeur et le dur travail du journaliste amateur que je suis. Mettre des mots sur sa musique la réduit fortement. Je peux placer les genres ambient, IDM, ethnique, electro ainsi que leurs ramifications. Ceci dit déjà quelque chose de l'absence de limites dans ces neuf nouveaux titres. David Vallée ne s'embarrasse pas des codes et laisse, année après année sa musique évoluer et prendre des chemins de traverse. Mais ça ne dit pas le soin apporté à la création de chaque son pour que celui-ci soit neuf et pas issu d'une banque de données ou d'un logiciel prémâché. On évite aussi de parler de la mise en place rigoureuse et, subséquemment, naturelle de ces sons les uns avec les autres. L'ensemble du spectre est harmonieux, gracile, léger.
Pourtant, on retrouve bien derrière cette maîtrise pointilleuse un univers noir et hargneux. "Torn Ground", plus direct, fait pulser les grondements. On s'extasie sur Woodkid – tant mieux – mais ces nouveaux auditeurs feraient bien de jeter les oreilles sur une scène moins médiatisée dont Lith fait partie. On a un sens du "chaloupement" et des détails pour habiller et faire danser les rythmes ("Amazon Ashes"). C'est à la fois élégant et tragique, frais et diablement sérieux. Finir (avant le remix bonus) par le soft dub de "Ruins" est une évidence.
Le propos joliment agencé ne masque pas une critique sévère du monde qui nous entoure. La belle pochette – une photo de Sophie Vizzone – et les titres disent explicitement ce que notre monde est en train de perdre, décennie après décennie, année après année. Un arbre écorché, en effet miroir capte l'attention tel le masque d'une divinité inconnue. Il nous regarde, en noir bleuté, et ses figures géométriques attestent d'une sorte de conscience mathématique dans l'univers. Un ordre était figuré que nous détruisons petit à petit. Si l'on prend "Collapse", Lith remonte le temps et réagence : ça bruisse de vie animale, de tronçonneuse, les pas des bestioles et les bruissements des pétales nous englobent, les pierres se figent ou s'élancent dans des processus complexes étalés sur des millions d'années.
En choisissant dès le départ une voie instrumentale, sans sample de discours, Lith a réussi à ne pas se fermer la route de la revendication et du message politique. Les sons résonnent comme des cris sur "Sixth Extinction", marqué par une terrible mélancolie et quelques appels forment des scansions sur le plus industriel et volatile "Gaia Hypothesis". Comme pour sa musique, son discours est clair, mais non directif. Il laisse à chacun le soin de faire avec. J'en reviens au premier paragraphe de cette chronique : il est bien plus facile d'écouter Lith, chacun pour soi, et de se faire son propre rêve lucide que de plaquer ses mots, réducteurs, trop catégorisants. Lith œuvre dans la métaphore, toujours, alors que nous en sommes réduits à composer avec une analyse incomplète, réductrice et déflorante. Il faut se résoudre à écouter, non pas religieusement ou dévotement, mais avec le corps, mais avec le cœur.