Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Chroniques

Musiques, films, livres, BD, culture… Obsküre vous emmène dans leurs entrailles

Image de présentation
Livre
16/08/2023

Ludovic Villard

Bandes Originales & Cinéma de Genre : de 'Psychose' à 'Blade Runner'

Editeur : Le Mot & Le Reste
Genre : anthologie
Date de sortie : 2023/08/23
Note : 70%
Posté par : Mäx Lachaud

On connaît bien la série d’anthologies de la maison d’édition Le Mot & Le Reste. Le principe est simple : une introduction assez fouillée et une sélection de cent disques pour couvrir un style musical. Les livres peuvent servir à la fois d’introduction didactique ou peuvent aider à compléter des connaissances ou donner tout simplement envie de redécouvrir nos propres collections. Ici, le sujet a de quoi passionner : revenir sur la grande période des musiques de films de genre de 1960 à 1982, avec pour point de départ Psychose de Bernard Herrmann et pour point d’arrivée Blade Runner de Vangelis. La sélection est subjective, mais les choix toujours intéressants. On regrette tout de même d’emblée que les éditions qui ont servi de support à l’écrit ne soient pas mentionnées, car pour certaines les morceaux diffèrent, ou sont tout simplement très difficiles à tracer car publiées sur des labels confidentiels. Dans d’autres cas, comme pour le compositeur japonais Toru Takemitsu (La Femme Des Sables, Kwaidan), il ne semble exister que des compilations. Pour Les Lèvres Rouges de François de Roubaix et pour de nombreux autres films traités, les bandes originales n’ont fait l’objet de publications que récemment, d’où là aussi la pertinence d’aiguiller le lecteur/auditeur dans ces domaines obscurs.

Cela dit, le livre reste documenté et tout à fait captivant. Pour l’auteur, cette période des années 1960-1970 correspond à un moment charnière où réalisateurs et compositeurs collaborent étroitement ensemble sur des œuvres sans concessions, avec une grande liberté et une inventivité qui va souvent passer par l’utilisation d’instruments rares ou d’une électronique de pointe. Dans un certains sens, nombreuses de ces musiques ont annoncé des genres qui allaient se développer dans les décennies suivantes. On sait à quel point Eraserhead et Massacre À La Tronçonneuse ont eu une grande influence sur les scènes industrielle, dark ambient et drone. On ne peut non plus nier l’apport majeur de certaines de ces bandes originales sur tous les courants de musiques sombres que nous défendons depuis plus de deux décennies à Obsküre : Profondo Rosso et Suspiria par Goblin, Solaris et Stalker par Edouard Artemiev, Possession par Andrzej Korzynski, THX 1138 et Amityville par Lalo Schifrin, sans parler de compositeurs incontournables comme Wendy Carlos (Shining), Ligeti (2001, l’Odyssée De l’Espace) ou Penderecki (Le Manuscrit Trouvé À Saragosse).

Le cinéma est aussi devenu le domaine où de nombreux compositeurs électroniques ont pu expérimenter. Planète Interdite en 1956 a posé les bases pour le travail qu’allait faire Daphne Oram sur Les Innocents, Gil Mellé sur Le Mystère Andromède, Brian Gascoigne sur Phase IV ou encore pour des noms très connus qui allaient offrir des BO mythiques qui ont parfois dépassé la réputation des films qui leur servaient de support : Popol Vuh pour Nosferatu Le Fantôme De La Nuit, Giorgio Moroder pour Midnight Express, Bobby Beausoleil pour Lucifer Rising, Tangerine Dream pour Sorcerer, John Carpenter pour Assaut, Klaus Schulze pour Body Love ou Next Of Kin… C’est tout un courant electro qui trouve là ses bases. Dans Les Oiseaux, on peut entendre du trautonium. Dans La Planète Des Singes, c’est le delay à bande magnétique Echoplex que Jerry Goldsmith utilise à foison. On ne compte même plus les nombreuses utilisations du thérémine, des ondes Martenot ou du mellotron. Les sons bizarres de ces instruments sont tellement évocateurs que le cinéma ne pouvait passer à côté.

Ludovic Villard revient d’ailleurs dès son introduction sur les liens très forts entre le cinéma, la technologie et les inventions. Les bruitages et effets visuels existent dès l’apparition de la "lanterne magique". On parle de fantasmagorie et de fantascope bien avant que l’image devienne "vivante" avec le cinématographe. Méliès lui-même, avec son kinétographe, invente le cinéma de genre dès les origines, et le goût pour l’épouvante et le merveilleux était déjà très présent. Malgré des avancées considérables dans les années 1920, la musique de film va quant à elle s’uniformiser à partir des années 1930, et mis à part quelques grands compositeurs mentionnés (Max Steiner, Franz Waxman, Elmer Bernstein, Bernard Herrmann…), il faudra selon l’auteur attendre le tournant des années 1950/1960 pour voir une révolution s’opérer, traduite à l’écran par des films comme Psychose, Le Voyeur ou encore La Maison Du Diable.

On effectue ainsi un voyage de l’Italie au Japon, de l’Europe aux États-Unis, on passe du western au giallo sans oublier la blaxploitation, les polars violents ou le porno. Bien sûr, ce livre ne doit être vu que comme une introduction avec des points de repère. Les amateurs voudront sûrement voir y figurer : Aguirre, Le Cercle infernal, Cannibal Holocaust, Liquid Sky, Dr Jekyll Et Les Femmes et bien d’autres titres. Mais les noms majeurs sont bien là : George Antheil, Ennio Morricone, Riz Ortolani, Howard Shore, Quincy Jones, Bruno Nicolai, Alain Goraguer… De la série B à l’horreur arty, des Vierges De Satan à L’Heure Du Loup, en passant par Zardoz, Space Is The Place, Carrie, Chromosome 3, Mad Max, Maniac ou Conan Le Barbare, vous naviguerez de films cultes en films encore plus cultes, pour lesquels la bande originale a joué un rôle majeur dans le succès qu’ils ont rencontré, aussi bien sur le plan artistique que populaire.

L’ouvrage se termine par une liste de titres tout aussi passionnants : Le Venin De La Peur, L’Exorciste, Sœurs De Sang, Peur Sur La Ville, La Montagne Sacrée, Taxi Driver, La Malédiction, The Thing, qui auraient pu tous figurer dans cette sélection des cent BO incontournables. Bref, il y a encore un ouvrage plus volumineux et ambitieux à écrire sur le sujet, mais nous ne bouderons pas notre plaisir à tourner les pages de cet ouvrage fort sympathique et inspirant.