Bel ensemble pour cette nouvelle sortie de Lüderitz. Il (m')aura fallu quelques disques et plusieurs écoutes pour que les compositions de la nouvelle formation de Vincent Fallacara (Torso) (me) fassent le même effet que celles de son groupe précédent.
Nouvelle habitude prise ou retour du talent ? Un peu des deux sans doute. Je n'attends plus du Torso en choisissant de me passer un des EPs signés Lüderitz et j'écoute désormais les titres pour ce qu'ils sont et non ce qu'ils auraient pu être. La satisfaction est donc immédiate en découvrant ce nouveau disque, sans doute le plus cold de Lüderitz. A l'image de ce "Kommandantur" tellement typé années 1980, de son titre à son synthé, que c'en est immédiatement un orgasme des oreilles ! "Anywhere out of the World" est à son tour un petit tube d'electro-pop-cold, minimaliste dans sa production plastique. Cette simplicité met en avant la voix bien sombre. On pourrait néanmoins regretter le manque de profondeur dans les sons (et parfois la voix, pas assez en avant dans le mix pour des passages radio, par exemple) car cette manière de faire sonner ne correspond pas aux attentes contemporaines. Pourtant, on a un hommage plutôt fidèle à ce qui s'écoutait dans les prémisses de nos scènes électroniques (Data Bank-A, le KaS Product de "Peep Freak"...) et une accumulation de pistes plus qu'intéressante.
La programmation de la boîte à rythmes sert le propos : sèche, implacable, étouffée. On profite du coup au mieux du décalage entre une mélodie dansante et un texte mazouté comme "Les Miroirs". Davantage dans l'air du temps est le texte déclamé "Ici/Là-bas", noirceur posée sur la situation sanitaire et sociale, scansion du slam (avec pointes harmoniques), paysages sonores urbains et lents, mélancolie à la Dälek. Pour le compléter, le texte de "Kommandantur", difficile position de recul face à nos gosses bâillonnés par les masques.
C'est un retour en grâce avec de nouveau les clins d'œil bien appuyés à une culture sombre : Baudelaire émaille ici et là le beau métal martelé, Peter Murphy est cité, "brouillard définitif" aussi. Les jeux de mots abondent : "C'est comme quand j'étais Lugosi / Mon Dieu ! que t'étais belle", "On se cramait les yeux à scruter les ténèbres", "J'ai les moyens de me faire parler". Voilà qui crée connivences !
Raffiné et typé, cet EP trace sa voix sans illusion, sans masques, sans faux-fuyants, sans cadeaux aux simplets, sans spectaculaire : toutes les raisons pour ne pas fédérer des milliers de fans. On se garde encore au chaud le secret de Von Lüderitz, Olivier Bohn et Thierry Bochler ; et la satisfaction s'installe dans la durée... Mais on rêve de la partager, cette acidité !