Pour des gens qui vivent à un peu plus d'une heure de Toulouse, avec des horaires du samedi qui poussent à se lever tôt, l'événement de La Setmana Santa est un crève-coeur. Bon, j'aurai assisté en solo à And Also The Trees en tour de chauffe - et avec la compagnie des copains et connaissances - mais cette fois, c'est bien à deux que nous montons sous le vent et la pluie en quittant la maison à 19h30 pour rejoindre Le Chorus.
Premiers échanges sur la soirée de la veille (Dead : regrets ; Rue Oberkampf : regrets...), plaisir pris à observer les costumes, vêtements, coupes de cheveux, t-shirts, badges des uns et des autres. Tiens on a une dizaine de jeunes, ça aussi, ça fait plaisir. Un échange rapide avec Sandrine, la Miss Z. Le duo m'a bien mis de côté un des derniers exemplaires retrouvés de Dyptique, ce joli vinyle à la pochette découpée, et je résiste à grand peine à l'envie de l'acheter immédiatement.
Bon, je tiens et on réussit à se blottir sur un côté de la scène lorsque le concert commence. On est dans le léger courant d'air de la sortie extérieure et dans les fumées de la machine à fumigènes... Le Chorus est une salle sympathique, mais il lui manque au bas mot 40 cm d'estrade afin de mettre en valeur les artistes. Pas compliqué à anticiper, quand même... Les tarifs du bar sont corrects, l'accueil cordial. Une heure de retard au démarrage, une trentaine de personnes qui manquent pour avoir une salle bien pleine (mais je ne vais pas m'en plaindre non plus...) : c'est qu'il y a d'autres dates sur les mêmes temporalités pour ceux qui aiment faire de la route.
Ce qui me frappe, c'est l'excellente qualité du son. C'est rare d'avoir un environnement sonore propre et qui tiendra tout au long du set de Machinalis Tarantulae, ainsi que sur les premiers titres de Die Selektion (et après, nous partîmes, précipitamment, dans la nuit noire, noire, le cœur comme un frigo...).
J'attendais ce concert. Les photos vues sur d'autres dates, les sessions de visuels promotionnels, la découverte enfin de Traum m'avaient fortement émoustillé. Un duo de plus, mais avec une nette différence créée par la viole de gambe électrique. Une présence, une expérience professionnelle de la scène, un équilibre trouvé après quelques années d'errance, un adoubement par les noirs Shaârghot. Qu'est-ce que ça allait donner ?
Et bien, un concert impressionnant.
Il ne s'agit pas de jouer pour les copains, même si on est à domicile ou presque. Le concept, c'est de la froideur, une distance symbolique avec la création de figures et une proximité avec le public.
ll n'est pas évident de garder son personnage quand on est placé à un mètre à peine du premier rang et pourtant, c'est ce que parvient à faire Justine. Elle reste statique, regard vide, concentrée sur son impeccable immobilité, tandis que Sandrine secoue la tête, remue, agite la foule, exprime pour deux. Aucune ne tire à elle l'attention en négligeant l'autre : c'est bien ficelé pour que le concept soit dans cette dualité. Elles ne sont qu'une même femme sous deux aspects, réelle et fantasmée, rêvée ou crainte, agitée et prostrée, fée et sorcière. C'est un concept théâtral sans lourdeur scénique, sans décor. Les déplacements de Sandrine pour changer d'instruments - attaquer avec sa guitare, hachée, saccadée, agressive, groovy, se retrancher quelques pas en arrière, toiser, partager - sont autant de mouvements qui découpent le set.
Car il n'y a pas de pause entre les morceaux, tous s'enchaînent et du début à la fin les costumes resteront à l'identique, cette chemise aux manches roulées qui sied si bien à Sandrine, cette viole qui remodèle le buste de Justine.
Les bandes passent et par-dessus, elles jouent et composent. Leurs deux voix, parlées, criées, hurlées, rugies vont de la comptine enfantine au growl, parfois dans la même phrase ! Seule ou à deux, elles se répondent, se complètent dans une chorégraphie vocale, une partition qui s'étale dans le temps, titre après titre. C'est sur la voix de Justine que le travail du sonorisateur est remarquable car on l'entendra chantonner même sur un boucan noisy-rock-indus.
La viole de gambe électrique permet des choix : rythmique, solo, éruptive, elle dessine une mélodie ou expose des tourments. C'est elle qui forme un corps par-dessus le vacarme. Et puis, l'instrument est beau.
Plusieurs temps sont dédiés à la résonnance primale. Les cris de Sandrine lorsqu'elle martèle (car Jimmy, toujours, martèle) sont un appel à la communion, un exorcisme, joie et colère, rage et offrande-cadeau. Dans le public, on s'y met aussi. C'est bon de gueuler, chacun a ses raisons qu'il ne dira pas, mais on pousse notre voix à notre tour, pour aider, supporter, car devant, ça trépigne et ça envoie ! C'est que ces frappes sur la caisse sont un challenge, un défi, un marathon parfois. Le corps en action.
Le concert n'est qu'une montée, par paliers successifs. Plusieurs fois je me suis dit que c'était bon, que le set allait toucher à sa fin et que les artistes pouvaient être fières d'elles, qu'elles avaient assuré le lancement de la soirée. Mais c'est que ça enchaînait, et avec encore des idées nouvelles !
Les morceaux joués se frottent en live à leur structure déglinguée, hors des facilités d'un tube. Les compositrices gardent un pied dans l'expérimental, la performance, et l'autre dans le jeu, la musique pour danser. La formule est là. C'est un concert implacable, dur, sentencieux et affirmatif. On aimerait qu'un livret de paroles soit balancé pour saisir ce que ça a de cathartique, ce que ça dit dans le fond, car on sent bien qu'il y a un truc qui nous échappe un peu... On se comprend à demi-mots, on reste dans le non-dit. On éprouve ensemble, justement parce que ce n'est pas dit clairement. On s'y retrouve tous. Sous cette froideur mécanique, on sent l'émotion, la fragilité repoussée au fond de la salle. Pour un temps on a deux reines, une vengeance, un répit, un soulagement. On se sent bien et heureux. Machinalis Tarantulae, c'est neuf, émouvant, flippant, galvanisant.
Le merchandising est là, sticker, badge, le vinyle. Les autres goodies ont l'air terrible aussi. On a le sourire aux oreilles en rejoignant la voiture. On s'est offert une chouette soirée, on a revu les copains. C'était bien.