Une figure bicéphale médiévale de la spécialiste de linogravures stfacat orne la pochette de ce troisième long format de Machinalis Tarantulæ et je regrette fort de ne pas avoir parlé d'elles plus tôt. Depuis une dizaine d'années, Miss Z a rejoint Justine Ribière, créatrice de ce projet, qui tient à la force des pulsations electro-rock (les guitares de "Confinia Mundi", les beats synthétiques de "Witch" évoquent l'ancrage techno-rock-indus) et à la grâce de la viole de gambe et des parties vocales.
Quand bien même le titre de l'album est en allemand (Traum, c'est le rêve), les chants se font aussi en anglais et espagnol. Les morceaux savent se tourner vers des compositions évidentes, pas loin de tubes dans leur construction et l'agencement de riffs qui capitalisent la sympathie. Mais la grande force de Machinalis Tarantulæ, c'est de proposer un environnement neuf. On ne se retrouve pas face à un groupe supplémentaire qui fait de l'electro-indus comme on en avait tant et plus. La variété des idées et les arrangements font exploser les cadres. Ainsi, "Witch" fait tourner sur son final un bon refrain à la manière hooligan (on l'imagine facilement avec la participation d'un public chaud bouillant), sur des guitares faussement minimales et y ajoute la mélancolie de la viole.
Cette volonté de ne pas se ranger est idéologique autant qu'esthétique. Il ne s'agit pas de renier un passé, comme en témoignent les invités du disque : Les Tambours Du Bronx, Clem-X et d'autres de Shaârghot, Sébastien Chaigneau qui complète le duo pour la production et le mixage (comme il le faisait pour Punish Yourself ou les Muckrackers) et c'est le studio Doom With A View (Lisieux, Dawn & Dusk Entwined, Pale Roses...) qui a géré le mastering. On a donc bien ce prolongement d'un esprit de famille et je retrouve l'émotion qui m'avait saisi lors du tribute en 2007 de cette scène électronique française au groupe Bérurier Noir (une belle compilation numérique intitulée Le Mouvement De La Jeunesse Électronique).
Le succès d'estime (et de ventes, on l'espère car l'album sort en un joli vinyle) s'appuiera en partie sur cette continuité ou plutôt cette renaissance qui fourmille d'idées. Mais, pour moi, l'idéologie tient surtout dans cette volonté de montrer qu'on sait faire, qu'on n'aura pas de limites, que les scènes existent, mais que la musique et l'Art dépassent les soirées nostalgiques. On pourrait établir un parallèle avec la personnalité de Jessie Evans (The Vanishing, Autonervous) : musicalement, rien à voir, mais sur la liberté et l'audace, l'indépendance intellectuelle, il y a des liens !
Machinalis Tarantulæ piochent où elles veulent, du punk à machines bardé de voltes celtiques ou alors de l'orientalisme dans des caves déglinguées face à un poste télé bloqué sur un vieux film : l'écoute de "Giant Stones" se fait singulière, au gré des envies de l'auditeur. Il n'y a pas de mode d'emploi ni de lecture unique. Les voix sont coléreuses, mutines, racées et débonnaires, porteuses d'énergie au fil des couplets. La diction pioche dans tout ce qui rythme ; la comptine, le phrasé hip-hop, la scansion en slogans punk. C'est qu'il s'agit de faire du langage un point de ralliement.
Les titres ont ainsi chacun leur particularité et j'aime particulièrement les pauses réflexives de "Archers are blind", répétitif et distant avant de vous happer dans sa farandole mécanique puis de vous laisser en bord de piste. Les échos entre les titres rassemblent eux aussi : on remarquera cette frappe lourde et sèche de "To the Moon" qui vient annoncer la participation des Tambours sur "Time stand", une participation malheureusement un peu en retrait dans le mixage. Enfin, il y a ces samples, efficaces, ambiancés, plus sombres qui donnent cet aspect envoûtant qui a désormais séduit pas mal de monde. À vous de plonger dans cet univers !