Changement de cap étonnant pour Unknown Pleasures Records. On sait que le label refuse de se cantonner à un genre et qu'il sélectionne les artistes les plus nobles des genres dark et electro. Avec Mann Of Seasons et cet album, on a un pas de côté qui est un pas de géant. Pas de musique noise comme avec Alice Botté, pas non plus de harsh electro dramatique comme sur l'hommage à Artaud, Theatre of Cruelty (signé HIV+), pas non plus de rock gothique à la Stranger Dreams. On a ici un ensemble de titres qu'imprécisément on pourrait rapprocher d'une folk dépravée. On peut aussi s'appuyer sur "Eternal Life", aux rythmiques et pistes neurasthéniques surmontées d'une voix romantique pour pousser une ascendance cold ; une idée prolongée par la valse synthétique et tristoune "Seven Night full" qui se balance entre un Trisomie 21 et le Leonard Cohen de "Dance Me to the End of Love" : tout ce qu'on aime de déchéance grandiose !
On est cependant bien loin de la dark folk et de la coldwave car Victor-Yann Gand et Ruth G. Núñez de Arenas proposent une musique atypique et hors des cases. On peut par exemple en appeler à Pink Floyd sur les couplets de "The little Boy lost " avant un refrain en saturations contemporaines. Un titre joué à l’ukulele ("Poison Tree") ravive des images de bar tiki. On peut même oser un rapprochement avec des travaux ethniques à la Dead Can Dance et consorts le temps de "Dimension austral" et d' "Albio", aux couleurs antiques.
Dans ce duo inventif, le premier est connu pour ses travaux avec Swesor Bhrater et Bruta Non Calculant. Pour l’aspect people, on ajoutera aussi qu’il est le frère d'Alexis Gand du Syndicat Electronique (avec lequel il officie dans Bruta Non Calculant). La seconde est plus connue sous son nom de DJ, From Hell, et pour ses activités de journaliste freelance.
Le duo a été secondé sur trois titres par Esteban Alcade qui signe "Altar", "Ver sacrum" et "Dimension austral", un triplé positionné au centre de l'album et qui en forme le cœur. "Altar" fonctionne comme un tube possible, mais touché par la mélancolie dans une ambiance macabre et élégiaque. Le chant en espagnol apporte une dimension alternative émouvante ; ainsi "La Mora con Dientes verdes" résonne comme une ode séculaire, qui contient en elle un peu de cette grandeur hispanique du Siècle d'Or. Pourtant le second degré domine et irradie des compositions efficaces et marginales par nature ("The Garden of Love"). Une démarche courageuse, atypique, singulière qui s'ancre facilement dans les disques importants de l'année.
