Difficile pour beaucoup de groupes des scènes dark de passer ce mois de novembre alors que la frénésie The Cure agite les foules et qu'on rivalise à coup d'éditions plus ou moins collector. Là où en 1985, la folie de la Curemania avait entraîné un revival gothique qui étonnait la première génération, les audiophiles âgés que nous sommes désormais sont un peu gênés que les lumières n'éclairent pas plus les musiques que nous aimons depuis des décennies.
Las, ce n'est pas la faute de Robert.
Mayflower Madame, donc, a sorti lui aussi ce 1er novembre son troisième album. Nous avions déjà chroniqué et aimé leur style. Un rock gothique (oui, on ose le mot), maniéré et racé. C'est-à-dire qu'on fait dans l'ambiance (l'introductif "Ocean of Biterness"), sans chercher un tube tapageur.
Même quand le rythme se fait chaloupé, on est loin d'une emphase à la Kill Shelter, on reste mesuré, héroïque en sonnant plus années 1980 qu'énergique façon darkwave. Affaire de spécialistes ? Non, c'est une sensibilité plus européenne qu'on sent chez eux, moins américaine. Tout au plus noircissent-ils le propos avec un pré-refrain plus grave, juste histoire de faire frémir avant une charge vers le céleste ("A foretold Ecstasy").
Sur "Marionette", la voix joue de variations vibrantes, légères, à peine perceptibles si ce n'est que la basse accompagne de ses pulsations ces accès émotifs. Sur un tel titre, on imagine une reprise par Depeche Mode, pour le plaisir d'un son mieux capté, plus profond. Toutefois, la ligne de guitare, cristalline, jouant des arpèges, serait un étonnant cocktail. On prend alors plaisir à sentir ce que recèle ce titre d'hommage digéré à une façon de faire vivre la musique puisqu'on entend également un clavier The Cure qui pointe par ci par là, joué bellement par Kenneth Eknes.
La recherche de la beauté est un leitmotiv efficace : "Queen of the Underworld" a ce petit riff ultra réussi qui accroche et laisse se dérouler la mélodie sereinement... puisqu'on sait qu'on va revenir à ce hook, après les péripéties nombreuses, les modulations, les nuages amoncelés et le break à la guitare-voix. "Crippled Crow", plus agressif, a du mal à trouver une bonne place. Peut-être aurait-il gagné à être dans la première moitié du disque car il précède "Insight for the Mourning Hours" (on y revient dans quelques lignes).
"Never sever" fonctionne moins bien, la voix peinant à trouver un ton juste, restant dans sa déclamation sans que la musique n'offre de coup de force. Une autre paire de morceaux sont dans l'ambiance, sans les éclairs orageux d'un Fields Of The Nephilim : c'est le cas de "Tightrope Walker" et en partie de "Paint it all in Blue". Toutefois, le joli final avec les nappes au clavier de "Paint it all in Blue" me fait vite aimer cette pièce qui se métamorphose en ode automnale à la And Also The Trees (sans même le recours à la guitare-mandoline !).
"Insight for the Mourning Hours" est le titre de fin, une chouette composition de plus de cinq minutes, lorgnant vers la mélancolie, se réservant des passages contemplatifs, jouant davantage de l'éloignement du chanteur avec le micro, faisant ainsi des écarts, puis revenant plus près, le piano dans le mix se calant sur une réserve équivalente, nécessitant une concentration pour en profiter totalement.
Ce disque cathartique et marqué par la perte affirme donc une personnalité, des techniques de jeu et une symbiose permettant un rendu presque live dans l'intention de jam qui se dégage ; il manque cependant un tri plus abouti des parties et une audace de mixage pour faire sonner les idées et leurs variations : le choix de Maurizio Baggio à la console semble étonnant, lui qui sait capter des groupes plus électroniques (Boy Harsher, The Soft Moon).