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Livre
03/07/2024

Melchior

Les Fleurs d'Orage

Editeur : Au Diable Vauvert
Genre : poésie qui pose
Date de sortie : 2024/06/06
Note : 70%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Quand bien même il demande à ne pas être lu trop sérieusement, il place son écriture sous l'égide d'un nouveau Romantisme. "Son écriture" ? Non, plutôt "ses écritures" car ce recueil positionne à la queue-leu-leu plusieurs techniques. Le passage d'un style ou genre à un autre se fait par grandes parties nommées "Livre" et chacune dédiée à une personne dont nous ne connaîtrons que les initiales et pour laquelle quelques mots retracent son importance dans la vie affective et la construction psychologique de l'artiste.

C'est un procédé efficace car il segmente les compétences stylistiques et donne corps à une chronologie du "devenir poète" (date, jour et heure parfois mentionnés), parallèle aux  chocs et rencontres affectives et amoureuses. Pour le lecteur, le recueil ainsi composé mêle avec fluidité intimité, expériences et création.

Toutefois, ces neuf livres sont suivis (et non pas précédés) du "Manifeste du nouveau Romantisme". Et c'est dommage car on sent bien que cet élan était là avant la rédaction, qu'il l'a guidée. Peut-être parce que ce terme de Manifeste est un mot trop lourd et que le Romantisme, même neuf (et surtout neuf ?) est une charge bien encombrante pour un recueil qui se veut sérieux, mais futile ? Pour prolonger mes doutes, disons que le Romantisme appellerait davantage de foisonnement, de coups de tonnerre, de grandeur et d'éclats. Trois livres en huit ans et de la douceur, ça effrite le concept, et la belle photo façon dandy à cigarette (qui aurait plu à Geoffroy de Dernière Volonté vingt ans plus tôt) ne suffit pas à faire de vous un Hugo, un Lamartine ou une Desbordes-Valmore.

Le reproche posé, revenons à ce bon livre qui mérite vraiment le détour et les lectures. D'abord, Melchior use des jeux de mots à références : "petits poèmes en rose", "à l'ombre des filles et des fleurs", "les lésions dangereuses", "mémoire d'une autre tombe". Personnellement, comme les titres de Libération, j'aime beaucoup pour la connivence happy-few un peu facile et troisième degré que ça imprime. Les références précises forment aussi une alliance, comme le prénom Alice, Blaise Cendrars, le blues et le jazz plus surprenant (mais Jacques Réda était féru de jazz), Don Juan (dont l'auteur livre une actualisation tout en respectant la langue du XVIIème siècle) et d'autres.

Ses dédicaces aux aimées et la multiplicité des formes que j'évoquais (lettres, haïkus, poème en prose, théâtre, récits de marins, poésie-slam de trottoir...) font de ce Fleurs d'Orage comme un cabinet de curiosités où l'amour, les fleurs, le parfum, l'ivresse, la folie sont les fondations. L'absence des muses dans les cadres accrochés aux murs de ce salon convoque tous les chagrins du monde, ainsi : "Elle me dit de trouver le bleu de la flamme" pousse à se surpasser et guetter cet absolu que plusieurs ont cherché. Le livre est ainsi une bouteille à la mer, sous l'éclairage d'une Lune personnifiée. Saisi par l'existence rassurante d'une possible Muse, dont la présence est attestée par les dires de certains Anciens, le narrateur se voit devenir poète, sachant que ce ne sera pas être romancier car il y a dans ce positionnement quelque chose d'intime à dépasser, à dévoiler, une difficulté à faire sentir. Une pose ? Oui, c'est assumé.

"J'étais aussi fou que toi, belle. J'étais si jeune quand tu as fait de moi une histoire comme une autre. Tu m'avais raconté, ivre, l'histoire du marchand de sable, et moi, amoureux des sirènes, j'ai écouté, sans me défendre, le chant des cygnes qui ne voulaient pas mourir."

Toutefois cette pose contient des vérités et je salue tant la lucidité que la synthèse faite : après l'étape du "tout dire", vient le temps des condensations. Les haïkus sont une succession de punch-lines habiles. Les amours volages font souffrir (voir aussi le poème de Musset "J'ai dit à mon cœur"), on joue avec le Diable, les remords et les regrets abreuvent les réflexions de nuits passées à philosopher, matrices de petites trouvailles : 

"Je voulais chanter, mais je ne sais que marcher sur les braises. Je vous entends vous moquer de l'autodafé de mon âme."

La réalisation pousse aussi à mieux lire entre les lignes : se plaçant à la place d'Elle dans le Livre VI, Melchior interroge sur le pouvoir des mots : que voudrait-il qu'on lui écrive, qu'on lui dise ? Etre publié, c'est avoir le dernier mot, mais avec ce pouvoir vient le danger de ne pas être lu ni commenté. C'est courir le risque d'être paradoxalement effacé, voire mis au pilon ! 

Malgré les acolytes (ou "alcoolytes") mentionnés, on sent la solitude, un topos ici écarté pour un temps, car c'est bien un dialogue qui s'engage entre Melchior et ses lecteurs, amusant, agaçant, revigorant.