Malin d'avoir appelé cet album Alive. C'est le premier du duo Mona Soyoc (KaS Product) / Olivier Mellano. Les paroles liminaires d' "Enjoy" jouent aussi les retrouvailles : "You will enjoy the wind blowing in your hair (…), the ride, the adventure under my eye". C'est que cela fait des années qu'on attend de la chanteuse des titres aussi puissants que ceux lancés dans les années 1980. Un ultime album pour KaS Product, Ego Eye, diversement apprécié mais qui ouvrait des possibles, un projet pour le jeune public resté mystérieux, des prestations live qui laissaient une partie du public sur sa faim.
Les retrouvailles ont pris le temps du live, ce qui donne aux douze titres proposés une dimension épique et vécue. Christy Lee Rogers offre la photo qui servira d'écrin shoegaze à cet ensemble. Ce qui fascine aussi en quelques titres, c'est la puissance de cette voix que l'expérience a charpentée, sortie des stéréotypes (qu'elle avait créés) de la soft EBM ou du jazz-minimal wave. Il ne faut pas s'attendre à une Mona Soyoc telle qu'on la connaissait. C'est une artiste neuve dans la forme ; pas dans le fond : on savait cette dame impressionnante. La triste disparition de Spatsz (Daniel Favre) en février 2019 est peut-être en lien avec ce renouvellement : c'est bien la magie ou l'indélicatesse des fans de chercher des signes ou des indices.
La voix est posée, superbe, dominante ("Avatar"). Dès "Hearts" et son ascension efficace, on sourit béatement en songeant à la grâce de la déesse Patti Smith (vidéo ci-dessous). Mona pose de la même façon une poésie engagée, affirmée, décidée, sur un fond de guitares grondant comme un essaim d'abeilles. C'est qu'Olivier n'est pas n'importe qui, quand bien même son nom n'a pas résonné au-delà des habitués des crédits : Miossec, Dominique A, Sloy, Fred Vidalenc, Filiamotsa, Brendan Perry, Yann Tiersen, Laetitia Shériff, Vénus De Rides, le cinéma lui ont fait confiance depuis plus de trois décennies. Les arrangements font mouche, puisant dans des sources multiples : le travail par touches sur "Dragon" magnifie autant qu'il accompagne le chant de Mona. Pas de couplet ou de refrains, mais souvent une apothéose construite comme un château dans le ciel : suivre l'évolution de la partition en parallèle à celle du chant est un plaisir entier. Avec "Idiot", on se rapproche le plus d'un format chanson : efficace, espiègle et entêtant.
Les climats sont variés, et vous basculez dans les ténèbres avec "Unvulnerable", proche des travaux d'Eva O pour Damnation (Ride The Madness) ou même de Jarboe le temps d’un "Rider with his Sword". Un blues-rock angélique et diabolique anime plus loin le merveilleux "One great Desire"... Moins évidente, la langueur de "Not sleeping" et son appel aux fantômes, joliment portée par une guitare elle aussi fort évocatrice, impose un ton réservé en plein milieu du disque (fin de face A en version vinyle ?). La fin de l'album (donc la fin de la face B) conforte ce choix avec le délicat et lumineux "Grateful".
Équilibré, l'album laisse progressivement la musique prendre son espace dans le format longue durée ; ainsi, une fois le propos mis en place et l'auditeur habitué à la manière de Mona, la musique prend son envol : c'est par exemple "Save You", où la ligne des guitares est plus en avant et guide cette fois le chant. Le travail rythmique de Valentina Magaletti est un support et une interprétation nécessaires à l'alchimie du duo, tels que Mona et Olivier s'affichent. Partageurs dans la joie de sortir ce disque, les deux n'oublient pas non plus de citer à l'enregistrement Romain Baousson (qui avait travaillé avec Dominic Sonic, autre disparition douloureuse) et Nicolas Dick (Kill The Thrill) au mixage, ainsi que leurs acolytes pour le live : Uriel Barthélémi à la batterie et Yann Dupuis à l’ingénierie du son.
