On entre dans All The Joy, All The Pain par une introduction mignonne pour cet EP pensé comme un album malgré ses seulement cinq titres. Chaque morceau a sa transition vers le suivant.
Une nouvelle fois, l'élégance des compositions force le respect, mettant en orbite la belle voix passionnée de Charlotte Shiroe. Sur "Apikan", l'alternance de courts passages éruptifs exprime beaucoup, tant les mélodies sont une suspension des sentiments et sensations, des tentatives de cerner ce qui se déploie. Un break planant, puis une surcharge de violence (black noise?), simplement posée, avant un envol épique. "Heart" prend le temps de construire son rugissement central, guitares, basse et batterie en chorale de rage, avant le retour de l'atmosphérique couplet. Pour la batterie, les parties de Roméo sont issues de sessions précédentes et ont fait l'objet d'un montage spécifique assez incroyable, rappelant la technique utilisée par les Young Gods avec leurs propres samples.
Il n'y a pas de tube immédiat comme sur leur précédent long format, The Secret Teaching Of Sorrow, sorti l'an passé. Le groupe cache ses atouts, fait moins dans la démonstration ; c'est à l'auditeur cette fois de faire un effort pour apprivoiser ces lignes plus complexes ("Apikan"). Sur "All the Joy, all the Pain (Part II)", après un joli jeu de basse inaugural (signé Jux) et des arrangements délicats, le groupe déploie un long passage hypnotique et décalé, sorte d'ambient sale et de field recording, parsemé de saturations et de drone, un repli sur soi et une écoute perturbée des bruits du monde, filtrés.
Le groupe expose cependant une surprise de taille : il a aussi offert cinq versions alternatives de chacun des titres (intitulés "mix" ou "master"). On a ainsi un EP double, ce que font les groupes en fin de carrière en dévoilant leurs secrets de fabrication. Olivier a mis cette formule au point avec le studio Dismalsound d'Albi. Pour ma part, je me suis d'abord penché sur les versions "mix" pour faire cette chronique ; c'est ensuite que je me suis fait plaisir avec la version "master" que je trouve plus ronde, plus enrobée, mais aussi plus facile. Il est difficile d'y entendre clair en quelques écoutes car au fur et à mesure je connais davantage les morceaux et la découverte de détails vient aussi de cette répétition, tout autant que du mixage pour mes oreilles profanes.
Pour lancer la promotion, le groupe opte sur la reprise de "The Way I am", titre de la B.O. de The Hurt Locker, film de Kathryn Bigelow sorti en 2009. Un court instrumental dans lequel on saisit ce qui plaît : musique racée, chargée en mélancolie, ligne claire de la guitare et échos harmoniques. Il serait dommage cependant de passer à côté de leur capacité à expurger la noirceur et à la sublimer par le chant.