Des projets, des doutes, du travail, des remises en question, du plaisir, du travail et encore du travail, l'attachement à la forme, aux fidèles, aux futurs fans, du travail, d'autres projets et des envies, de la volonté et des appels à l'aide, la transcription dans la musique de tous ces manques, du partage et de la célébration, du travail et de la joie. Minuit Machine est dans le peloton de tête d'une renaissance des musiques froides. Mais pas question de stagner dans des procédés faciles, tant dans la forme que dans l'esthétique. Aussi, en livrant un EP chez Warriorecords, Hélène et Amadine fusionnent leurs actes et leur indépendance avec l'aide d'une grande sœur. Elles font pour nous le point sur ce groupe, un prochain label et leurs objectifs à venir. Sincérité de l'échange, disponibilité, ce sont des instants précieux.
Obsküre : Je vois la signature chez Warriorecords comme une belle ouverture. Qu'est-ce qui a motivé cette décision : est-ce une demande de votre part ou bien est-ce l'équipe autour de Rebeka (Sexy Sushi, Mansfield. TYA, Kompromat) qui vous a contactées ?
Amandine : Oui, c’est clair que c’est une ouverture et une super opportunité de nous faire connaître de la scène parisienne puisque depuis nos débuts, notre public est majoritairement à l’étranger ! C’est elle qui nous a contactées, et évidemment nous n’avons pas hésité une seule seconde ! C’était l’occasion rêvée de toucher un public différent de d’habitude, et une scène plus large, peut-être moins dark... même si nous resterons à jamais dark dans l’âme (rire).
Comment vivez-vous la situation actuelle ? Les allers-retours maniaco-dépressifs ont l'air plus fréquents...
Amandine : C’est triste à dire, mais je pense que personnellement, je me suis plus ou moins habituée à la situation. Les débuts ont été très compliqués puisque toutes nos perspectives se sont effondrées d’un coup et qu’on s’est senties complètement désemparées et très soucieuses de ce qu’il allait advenir de nous ! Nous avions beaucoup de dates de prévues, et c’est vrai qu’on était sur une bonne lancée. Donc nous avons un peu eu l’impression qu’on nous coupait l’herbe sous le pied… Mais d’un autre côté, le fait de rester à Paris nous a permis de nous concentrer sur d’autres projets, notamment le lancement de notre label techno Sestra, et de réfléchir à d’autres moyens de subvenir à nos besoins en tant qu’artistes ! Il n’en reste pas moins que c’est compliqué de se sentir complètement mis à l’écart par la société, et d’être placé d’office dans la catégorie des "métiers non essentiels". La culture, c’est pourtant ce qui permet à beaucoup de gens de vivre au sens propre comme au sens figuré, et c’est une richesse qui ne devrait pas être laissée pour compte. Mais bon, c’est un autre débat (rire).
Hélène : Ça a aussi été une chance de pouvoir se concentrer sur la composition, retravailler nos live pour être prêtes quand les concerts reprendront ! Et on a hâte… En ce qui me concerne, j’ai l’impression que cette année a été la plus longue de ma vie avec chaque mois une nouvelle dynamique, bonne comme mauvaise. Le temps est comme figé, on est en attente d’autre chose, de cette nouvelle vie d’après Covid. Je n’ai jamais eu autant de questionnements et de remises en question que pendant ces longs mois. Je pense que ça a été le cas pour tous : on s’est retrouvé seul avec soi-même, avec beaucoup de temps pour penser à qui on est et où on va. Et mine de rien, avec le recul, je me rends compte que ce temps m’a vraiment été bénéfique, car j’ai appris à mieux prendre soin de moi et de mes proches.
Comment s'est mise en place l'idée de la Sainte Rave, ce concert filmé et retransmis sur YouTube ?
Amandine : Nous cherchions un moyen efficace d’apporter de la visibilité à notre projet et d’avoir un contact avec notre public malgré l’interdiction des concerts. Je crois que c’était notre manière à nous de rappeler qu’on existait et que nous étions capables de mener à bien des projets forts et beaux (du moins on l’espère !) dans un contexte très compliqué.
Hélène : À la base, on voulait faire un petit livestream sympa, un peu intimiste. Et puis un peu malgré nous, la machine s’est emballée ! C’est devenu out of control (rire) ! On a eu une opportunité d’avoir cette galerie magnifique pour tourner et on a commencé à contacter des techniciens qu’on connaissait. Petit à petit, nous avons réalisé l’ampleur et les moyens que ça demandait d’organiser tout ça. Mais ça ne nous a pas arrêtées, au contraire ! On a foncé tête baissée et bossé comme des dingues - et nous sommes d’autant plus fières du résultat !
Le light-show est vraiment très beau : qui a préparé cet aspect ?
Hélène : Depuis le premier jour où on a parlé de faire un livestream, j’avais cette idée de néons en tête ! J’ai l’habitude de louer du matériel de tournage dans une boutique près de chez moi et j’avais vu que depuis peu, ils avaient les tubes néon d’Astera à la location. Je rêvais de les utiliser d’une manière ou d’une autre ! J’avais également vu quelques livestreams dans des plus grandes salles qui utilisaient ces tubes et j’avais trouvé ça hyper classe. Du coup, quand j’ai contacté Théo Lacombe pour s’occuper de la lumière, je lui ai parlé de mon concept. Il était super emballé et a même réussi à emprunter plus de tubes ! Ce qu’il a fait le jour J, je ne m’en remets toujours pas. C’était absolument parfait. Encore mieux que ce que j’avais en tête !
Comment situez-vous votre dynamique dans ce qu'on pourrait appeler une "renaissance" des musiques froides ?
Amandine : C’est vrai qu’on a constaté une émergence de la cold ces dix dernières années. Et plus récemment, on a l’impression que de plus en plus de personnes qui n’écoutaient pas du tout ce style de musique s’y intéressent, c’est cool ! Notre musique est assez hybride. Oui, elle a bien sûr des sonorités froides, très coldwave, mais on essaie d’y apporter une touche plus techno/EBM tout en gardant un côté épique et mélodique. J’ai l’impression qu’on est à la frontière de plusieurs genres de musique différents, et c’est qui nous plaît !
Votre musique est plus dynamique et complexe à la fois dans sa construction et dans ses détails. Il y a un plaisir manifeste à travailler et à gagner en profondeur, non ?
Hélène : Oui définitivement ! Je prends énormément de plaisir à composer même si parfois j’ai envie de tout casser et tout arrêter (rire)... notamment quand ton logiciel n’arrête pas de planter pour des raisons qui te dépassent ! Je prends chaque composition comme un nouveau challenge. Il y a tellement de techniques à connaître, de nouvelles banques de sons à découvrir, de nouveaux plugins à tester. Avec l’expérience, cela ne devient pas plus facile car au contraire, je ne veux pas me reposer sur ce que j’ai acquis. Je veux me pousser et devenir meilleure en terme de technique, mais exclusivement au service de la musique et de l’émotion que je veux transmettre. Je suis toujours mal à l’aise dans les discussions avec d’autres producteurs parce que je sais pertinemment que je ne fais pas plein de choses "comme on est sensé les faire". Je suis autodidacte et tout ce qui m’importe c’est le résultat. J’ai souvent l’impression de faire du "maquillage", je teste plein de choses jusqu’à ce que j’entende enfin ce que j’ai en tête mais je ne suis absolument pas certaine que c’est la bonne façon de procéder. Je dis ça parce que je sais que cela freine beaucoup de monde, notamment des femmes qui n’osent pas se mettre à la production car elles ont peur de ne pas être à la hauteur. L’important, c’est la musique et l’émotion que l’on partage. La plupart des personnes qui écoutent ton morceau se fichent de savoir comment c’est fait, tout ce qu’ils veulent c’est ressentir quelque chose, danser, accompagner leur quotidien, etc.
Vos albums physiques sont épuisés, malgré des rééditions. Pouvez-vous nous indiquer quels tirages vous avez cumulés ? Anticipez-vous sur d'autres rééditions ou bien est-ce que selon vous un maximum a été atteint ?
Hélène : Pour les premiers albums, on commençait par presser trois-cent vinyles puis quand on a sorti Infrarouge, on en a fait cinq cents qui se sont écoulés très rapidement. Pour Don’t Run From The Fire, on s’est dit que c’était un EP et qu’il allait moins se vendre, mais... pas du tout ! On s’est retrouvé à devoir faire un repress en urgence alors qu’on n’avait même pas encore reçu le premier pressage. À partir de maintenant on en fera mille. On essaie de toujours faire plein de couleurs différentes pour rester sur des éditions limitées. On n’oublie pas que le vinyle est un objet de collection.
Amandine : Je crois que nous en sommes à deux tirages pour Live & Destroy, trois pour Violent Rains, deux pour Infrarouge et deux pour Don’t Run From The Fire. Tous sont épuisés, sauf le dernier où il reste très peu de copies. On prévoit bien sûr d’autres rééditions. C’est important d’avoir du stock !
Hélène : Et notamment quand les concerts reprendront, car cela fait partie du plaisir de certains de pouvoir nous acheter le vinyle directement et de le faire signer par la même occasion !
Le vinyle : objet de collection ou seul vrai achat ? J'ai du mal à visualiser ce que sont aujourd'hui les ventes digitales.
Hélène : Je pense que beaucoup de gens n’ont plus envie d’acheter du digital car ils peuvent écouter les chansons gratuitement sur les plateformes de streaming. Quitte à dépenser de l’argent, ils préfèrent investir dans un objet. Mais depuis l’année dernière, j’ai l’impression que les gens commencent à réaliser que d’acheter du digital, c’est la meilleure façon de soutenir l’artiste. Car au final, presser des vinyles coûte très cher et par exemple, quand on envoie des vinyles en distribution pour être vendus en boutique, la marge que l’on fait est ridicule. Alors que les ventes digitales n’ont pas de coût en soi, c’est la rémunération directe d’un travail qui a pris souvent des mois voire des années pour certains. La crise sanitaire a vraiment incité les gens à soutenir les artistes. Et les ventes, que ce soit d’objets ou digitales, ont vraiment augmenté. En tout cas, c’est ce que nous avons constaté de notre côté. Nous avons même mis nos anciens albums disponibles gratuitement sur Bandcamp, les gens pouvant payer ce qu’ils souhaitent. Et bien le résultat c’est qu’on a jamais vendu autant de digital que depuis mars 2020 ! Car beaucoup ont donné 1€, 2€, 5€… Alors qu’ils n’auraient pas payé pour du digital auparavant. Par contre, c’est très difficile de savoir exactement combien ces ventes rapportent. Cela dépend évidemment de l’artiste. Pour nous, je dirais que cela représente environ 10 à 20% de ce que le physique nous rapporte. Mais à cela, il faut ajouter les revenus que génèrent le streaming, ce qui n’est pas négligeable !
Préférez-vous investir sur une prochaine sortie au lieu de capitaliser sur le passé ?
Hélène : On essaie de faire les deux ! Par exemple quand on sortira un nouvel album, on en profitera pour represser un ou deux des anciens qui sont épuisés pour que les gens qui viennent de nous découvrir puissent aussi acquérir nos précédents albums.
Les maquillages ont-ils une forme symbolique pour vous : attachement à des codes culturels, habits cérémoniels, reflets de l'âme, etc. ?
Amandine : C’est un pur hasard ce maquillage, une trouvaille d’Hélène qui s’intéresse à tout ça et nous trouve toujours des make-ups hyper spécifiques ! Pour moi ça symbolise la force intérieure, ce sont un peu des marquages guerriers, qui me font me sentir powerful avant de monter sur scène.
Hélène : Oui, cela fait partie d’une de mes nombreuses obsessions/passions :) J’adore suivre des comptes de maquilleurs sur Instagram, je fais des captures d’écran des looks que j’aime bien et je m’en inspire pour des clips ou pour la scène. Mais comme je n’y connais rien en technique, je n’essaie absolument pas de reproduire à l’identique. Et du coup ça donne un style qui devient notre style. Un peu comme la musique finalement (rire).
Sortir un EP en format digital, c'est faute de mieux ou bien c'est vraiment ainsi qu'on distribue sa musique, qu'elle est achetée (et c'est à moi de m'adapter à cette nouvelle forme) ?
Amandine : Absolument pas ! Pour moi le digital c’est tout aussi légitime que le physique, c’est juste différent, avec une promo différente également. Et puis même si on a un public qui aime bien acheter nos disques, la promotion d’un EP sur les plateformes de streaming c’est tout aussi important de nos jours ! Mais on n’exclut pas de sortir l'EP Basic Needs sur vinyle, qui sait ?
Votre son s'étoffe de plus en plus vers une musique plus techno et dansante, accentuant ainsi le décalage avec Hante. et son univers. Comment se construit le dialogue avec des clubs qui diffuseront vos titres dans un proche avenir ?
Hélène : Comme nous sommes deux, quand je compose je prends bien évidemment en compte les goûts d’Amandine. J’ai envie qu’elle adore ce qu’on fait, que ça l’inspire pour les chants, qu’elle soit fière de porter le projet. On crée une playlist d’inspiration ensemble pour savoir où on veut aller. Et bien sûr, nos goûts évoluent ! Avec la création de notre label Sestra, dont Amandine s’occupe en termes de direction artistique, nous écoutons énormément de techno, d’EBM et ça m’a fait évoluer aussi. J’ai découvert des groupes que je ne connaissais pas et ça a beaucoup nourri la nouvelle direction de Minuit Machine. Je suis contente de pouvoir enfin décrire parfaitement ce qui différencie la musique de Hante. de celle de Minuit Machine même si forcément, l’une nourrit l’autre ; et je pense que l’on peut entendre l’influence du son de Minuit Machine dans les nouvelles compositions de mon projet solo.
Amandine : Comme je le disais, on a lancé Sestra Records, qui est la "petite sœur" techno de Synth Religion, et nous avons pour projet d’imbriquer nos deux univers - la darkwave et la techno, notamment à l’occasion de grosses soirées type Sainte Rave, avec une partie concert et une partie club. Du coup c’est top car on se rend compte que le fait d’avoir Sestra nous permet justement un dialogue beaucoup plus aisé avec les clubs, et donc d’intégrer les sons Minuit Machine à cette scène plus techno/EBM.
Vos paroles oscillent entre optimisme et dénonciation triste : Minuit Machine, est-ce un instrument pour dépasser vos propres incertitudes face à notre monde ?
Amandine : C’est beau de voir l’optimisme dans notre musique (rire). Il est effectivement présent parfois, même si globalement on reste dans du contenu plutôt sombre, et parfois désabusé ! C’est exactement ça, je pense que la musique et notamment celle de Minuit Machine me permet de me confronter à mes peurs, ou mes angoisses et que le fait de les écrire ou de les exprimer à travers le chant me libère. C’est très cathartique !
Qu'est-ce qui manque à Minuit Machine aujourd'hui et que vous seriez à même de combler ?
Hélène : C’est difficile de réaliser ce qu’on pourrait faire de plus que ce que l’on fait déjà. On bosse comme des acharnées. Nous composons beaucoup et on essaie d’avoir très régulièrement de l’actualité. C’est difficile à admettre, mais ce qu’il nous manque maintenant c’est les choses dont nous n’avons pas le contrôle. Des live bien évidemment, plus d’opportunités dans des festivals par exemple, de l’aide et de la chance tout simplement. Il est très difficile de porter un projet musical à bout de bras à seulement deux personnes et signer avec Warriorecords, c’était justement une de ces opportunités dont nous avions besoin !
> MINUIT MACHINE
- Basic Needs (EP)
- Warriorecords (23/04/2021)