Il faut raviver des souvenirs : Bunker Strasse, actif à la fin des années 1980, s'était auparavant appelé simplement Bunker. Or, il y avait aussi Die Bunker dans le nord de la France, les cousins de Clair Obscur étaient de l'Oise et Bunker résidaient à Arras. D'où le changement de nom. Et puis, au début des années 1990, ils devinrent Modèle Martial. Mais sans disque, avec quelques concerts, et en un temps où internet n'existait pas et à une époque de creux de vague pour la coldwave (l'indus débarque, l'EBM se renforce, la darkwave inonde les dance-floors...), l'information m'était passée au-dessus.
Au hasard d'un mix réalisé par Franck le Sage, je recolle les morceaux via Facebook et les messages de Kris Dernon. Bunker Strasse avait été l'une des mascottes du fanzine Espoirs Ephémères, avait également partagé la scène avec les Amiénois de Morituri et leur nom circulait sans doute plus que les disques : magie de l'époque. En 2023 ils sortent un six titres, toujours vaillants, bien plus rock (pour tout dire, on peut même tisser des liens avec No One Is Innocent pour la fougue électrique). Ne tiquez pas ! Il suffit de commencer par "Parapluies" pour avoir du synthé cataleptique, une frappe de batterie sèche et tribale, des guitares acides et un rythme endiablé façon danse de Saint-Guy. C’est néanmoins le groove qui donne la mesure, les basses supplantant régulièrement les guitares, leur laissant pleine forme pour les solos ou le riff qui revient en échos, discrètement ("Lost") ou de manière plus appuyée ("All my Demons"). Quelques samples surgissent, pas forcément utiles, même s’ils ancrent le groupe dans une école et une époque (j’ai la même impression avec les stridences finales de "Parapluies").
Les titres sont longs, cinq dépassant les quatre minutes, et ce ne sont pas les intros qui dilatent le temps, mais bien une manière de composer qui sait donner du temps aux atmosphères, sachant accentuer la pesanteur : ainsi "Ylang Ylang" après la mise en place de couplets et refrain imparable, bifurque dans un passage où les claviers dominent. Le break a du bon car il déjoue l’attente d’un "tube" et avance l’hypothèse que le climat prime sur la flatterie de l’auditeur. "The burning Umbrella" flirte même avec un cold rock gothique du haut de ses guitares déliées, avec une voix qui libère ses émotions. Et cela va avec le message distillé qui témoigne de la difficulté à être soi avec les autres, des concessions délicates à s’approprier. Les paroles appartiennent à cette poésie noire où les phrases sont versifiées ; cumulant registres soutenus et argot des rues ("Dystopie"), les récits de vie sont moins narratifs que symboliques, truffant les textes d’images et références.
Peut-être aussi pourrez-vous commencer par la fin tant "All my Demons" est porté par son groove et permet les audaces à la guitare et au chant, le groupe se permettant de scinder son titre en deux parties...
Mais ne refermez pas tout de suite ces pages : en juin sort chez Minimalkombinat un disque (+ CD) reprenant l'essentiel des titres de Bunker Strasse de 1986 à 1989. Nous en reparlerons, bien sûr, en espérant un tirage en quantité suffisante !