Nous n’attendions pas un nouvel album de Morthem Vlade Art aussi rapidement après la parution de l’excellent In The Blue Plains Of Paradise fin 2018. Le groupe composé de Gregg Anthe - qui s’occupe de l’ensemble de la partie musicale - et d’Emmanuell D, sa femme, écrivant la majorité des textes, avait semblé être en standby depuis quelques années puisqu’entre 2004 et 2018, rien n’était sorti sous l'égide de ce projet. Morthem Vlade Art, sur l'ensemble de sa discographie ne s'était jamais répété et avait souvent pris le parti du risque. Cependant, une nouvelle orientation artistique plus classique avait paru être désirée pendant ce hiatus, épousant une autre incarnation sous la forme d’un groupe d'obédience rock, In Broken English, au sein duquel Gregg Anthe s'exprimait de façon plus frontale. Deux superbes albums étaient nés de ce projet solo même si un vrai groupe avait été convoqué pour l'exercice du live. Et puis c'est également sous le projet HNN que Gregg s'était exprimé, avec une approche plus électronique. Autant dire que les différents projets étaient tous d'excellente facture, permettant de creuser des veines plus spécifiques dans des genres assez formatés. Et pour ne pas être en reste de spectacle vivant, Gregg officie également depuis quelques temps comme musicien de scène pour Trisomie 21.
Le retour de Morthem Vlade Art annoncé au mois de mai 2020 à l'issue du confinement suite à l'épidémie liée au Sras avait réjoui de nombreux fans. Connaissant l'exigence de Gregg dans la sortie de chacun de ses albums, la question qui nous taraudait était celle de l'orientation générale du son pour ce nouvel opus, Afternoons. Touche-à-tout génial, l'homme avait pu s'aventurer au cours des années et en toute cohérence aux confins d'ambiances industrielles, deathrock ou encore darkwave mais également s'illustrer dans des choses plus électroniques et cinématographiques, voire minimalistes.
Le sentiment qui se dégage ici est d'abord celui de liberté : Gregg Anthe semble avoir écrit l'album en faisant fi de tout dessein pour son projet autre que celui d'y prendre du plaisir ; et par ricochet de nous en offrir à nous, auditeurs. L'album s'ouvre dans une totale "décomplexion", sur des accents pop qui imprimeront l'album mais jamais ne lui nuiront. L'audace est totale et le risque de ne pas convaincre, évacué d'emblée. Le bonheur à écouter cet album doit être à la mesure de celui pris lors de sa confection. Des titres comme "Mrs Richard D." ou "Drama's Calling" flirtent avec une électro-pop si dansante que tout bon DJ se devra d'en passer aux futures soirées Boucanier. Ce qui est remarquable, c'est que jamais les titres les plus ouverts de l'album n'impactent négativement l'ordonnancement général et ce probablement car leur légèreté n'est pas si absolue : une saudade, un spleen notamment dans les superbes textes d'Emmanuell apportent la corrosion nécessaire pour ne pas sombrer dans un angélisme embarrassant. Dans "Drama’s Calling", sous des rythmiques particulièrement enjouées, on sent le malaise poindre : "It’s dark all day... you’re merciful just since you made a stone of your heart". "Heartache" est lui plus menaçant : "No one will dare what all this is about, where are you when I’m hurt, I turned my heartache to lies."
Les formats des titres sont tous assez courts et apportent une efficacité notable à l'album. On entre dans Afternoons avec une facilité surprenante mais la marque de fabrique d'un très bon disque reste le fait qu'on y revienne, encore et encore sans lassitude. C'est entêtant, rythmé, réjouissant. Chaque titre est ici essentiel, car permettant de parvenir à un bel équilibre entre fausse insouciance et réelle mélancolie. Les titres "Away" ou "A Bird with a flare Pt.1" sont en ce sens des bijoux de finesse, où Gregg n'a jamais aussi bien chanté, des textes au demeurant somptueux ("Don't say goodby to a bird on the ground"). La diversité musicale se reflète également au sein de titres plus electronica ("The Crashing Surf"), clairement cinématographiques ("Dead Again" et son final jubilatoire qui rappelle comme un pied de nez à l’époque que la musique est aussi un spectacle, avec une audience faite de chair et de sang) ou minimalistes ("Lost Boys").
Le retour aussi inattendu que percutant de Morthem Vlade Art avec cet album lumineux qui ne renie pas sa part d’ombre est exaltant. La musique nous sort de la torpeur et du marasme ambiant mais la conscience aiguë des affres de l’existence ancre la production dans son époque. Afternoons est l'expression d'une démarche artistique exigeante, lucide, surprenante et hypnotique.