Le deuxième album de Nairod Yarg est celui de la confirmation. On sait et ils savent que c'est avec ce fichu numéro 2 qu'il faut confirmer ou disparaître. Seb et Rudy n'ont pas l'intention de mettre la clé sous la porte du studio. Les idées sont toujours aussi nombreuses, que ce soit sur le plan mélodique (la ligne de basse de "The Beast in me" et son break déconcertant) ou sur le plan des effets et des arrangements.
C'est avec "Les Garçons sauvages" que Nairod Yarg tient son tube sur cet album : immédiat, refrain accrocheur, références à l'étonnant film de Bertrand Mandico, stroboscopie des effets sur la voix ou des détails : j'adore ce gros son énervé hyper saturé et profond qui surgit par instants et la sécheresse de la frappe. Dans ce cabinet de curiosités, on apprécie aussi le recours au rythme de "Sisters" dans une veine qui fait plaisir aujourd'hui à Paul Roland (dont il faut écouter les albums de ces dernières années). C'est punk et gothique à la fois, sans imiter un groupe en particulier. Comme avec Dead Souls Rising, il y a une patte et non pas des influences, mais un spectre musical parfaitement assimilé. Assurer la première partie des Stranglers en décembre dernier n'était que juste reconnaissance de la qualité du groupe.
Une bonne chanson ça se reconnaît et ça se domestique petit à petit : il faut ce fichu riff, sauvage, naturel, venu ici presque par hasard alors qu'en fait il ne cessait de tourner au milieu d'autres et c'est l'oreille qui le reconnaît. Il faut ensuite le capturer et l'insérer avec délicatesse dans un morceau complet en ajoutant pièce à pièce des éléments qui vont le mettre en valeur et non pas l'étouffer. Le travail fini, tout est assemblé et c'est à l'auditeur de déceler à son tour ce qui fait le seul du morceau, ce petit gimmick qui est là, encadré. La ligne funky de "The last Walk of Dorian Wilde" marque un tournant. Chez Nairod Yarg, chaque titre a ainsi son Vif d'Or. Et celui-ci sera différent pour chacun, selon ce qui le touche : la frappe de la batterie, la justesse du chant si typé années 1980, entre héroïsme et romantisme (mais les deux ne sont-ils pas liés ?), l'aigre de la guitare ("Suzanne"), la versatilité de cette basse assez incroyable, la beauté de la guitare acoustique ("Medusa"), les harmoniques précieuses de "Lipstick"...
L'album est composé avec sagesse et raison : le plus émotif "Dizzy", entre Bowie et Peter Murphy, en un peu plus sucré, se retrouve ajusté à l'explosion des "Garçons sauvages" pour qu'aucun ne pâtisse du niveau élevé de son voisin. C'est avec émotion qu'on découvre un titre au chant récité en français, avec un gimmick électronique bien employé : "Kabaret electrick" dont les paroles s'acoquinent avec le "Ophélie" de Jad Wio sans basculer dans le charnel. La brièveté de plusieurs titres agace avant que l'on ne s'y fasse : Nairod Yarg a gardé le meilleur pour démultiplier l'urgence et l'efficacité : dix titres sans longueur, des refrains mémorisables ("Adele's Eyes"). C'est un savoir-faire qui les différencie de der Himmel Über Berlin par exemple, mais pénalise le surgissement de flamboyance ou de "morceaux de maître" comme en déroulaient Bauhaus.
On s'amusera aussi avec le groupe de son jeu fin de siècle : après s'être appelé Dorian Gray (personnage d'Oscar Wilde) épelé à l'envers (allusion au langage inversé du nain dans la série Twin Peaks), voici qu'ils mélangent à la manière d'une Buzy dyslexique les noms et prénoms: Dorian Wilde, ça en a étonné plus d'un ! Durant tout le disque, on suit cet ami imaginaire qui conduit de scène en scène et permet de faire vivre ces portraits dans un contexte.