New Model Army trace sa route depuis près de quarante ans avec une constance sans pareille. Le groupe, dont l’exercice du live est le fonds de commerce (exercice en lequel il excelle en général), a tout de même trouvé le temps de produire un nouvel album studio – lequel s’avère particulièrement… exaltant.
NMA a toujours su se renouveler : combattre l'usure du temps et éviter de se répéter. En live d'abord, il s'est toujours agi de ne pas ressasser ad nauseam le même répertoire mais de rester source de surprise(s). Dernier exemple en date : le weekend passé en résidence à l’Église londonienne (Round Chapel) en avril 2018. L'idée directrice avait été de mettre en avant le chant du public, les musiciens situés physiquement au centre du lieu se plaçant définitivement en retrait en termes de volume sonore, afin de produire communion entre le groupe et sa family (un moment documenté sur l’intéressant DVD Night Of A Thousand Voices). New Model Army a également su conserver au fil des années une ambition sur le plan discographique. Les dernières parutions avaient oscillé entre œuvre de réflexion et d'expérimentation (Between Dog And Wolf, paru en 2013) et vœu de plus de frontalité et de véhémence (Winter, sorti en 2016).
Pour ce nouvel album, l'idée d'une profonde cohésion prédomine d’abord : nous avons affaire à une œuvre reposant avant tout sur le collectif. Il ne s'est jamais agi de voir NMA comme la formation du seul Justin Sullivan (chanteur et unique membre originel) accompagné de musiciens affidés ; et plus que jamais l'ensemble transpire d'une exceptionnelle solidité, laissant bénéfice à chacun d'espaces clairement réservés. En l’occurrence, une expression singulière des individualités nourrit le collectif, et ce sur toute la longueur : les uns sont clairement au service des autres. Les guitares de Marsharl Gill ne sont en aucun cas des faire-valoir, quand les synthés de Dean White vont bien au-delà du simple habillage. Comme sur les albums les plus récents, la section rythmique est très présente mais la batterie de Michael Dean est mieux intégrée, moins démonstrative (la démonstration n’ayant de toute manière jamais été ni son moteur, ni son intention – l'homme est trop modeste). Le groupe avait clairement choisi d'établir la base de ses titres sur le rythme, ce qui parfois pouvait nuire à la fluidité de certaines chansons, de même que, d'une certaine façon, à leur ouverture. La basse elle aussi trouve une place plus naturelle sur cet album. Marcher sur les traces de ses illustres prédécesseurs (Stuart Morrow, Nelson) a probablement dû être complexe pour le plus jeune de la bande, Ceri Monger, et a pu l'amener parfois, inconsciemment, à forcer son jeu pour atteindre les standards de qualité existants et supposément requis.
Sur From Here, l'équilibre est de rigueur et le choix de retravailler avec Lee Smith et Jamie Lockhart (à l'enregistrement et au mixage) et d'approfondir avec eux la méthode de travail payante par le passé, apporte un son d'une exceptionnelle pureté, servi par un mix de grande qualité. L'environnement de travail du groupe a été également déterminant puisque l'enregistrement s'est déroulé sur l'île norvégienne de Giske, aux studios Ocean Sound Recordings, entourés de montagnes et d'étendues maritimes.
L'écriture de l'album a paru répondre à un critère d'urgence pour le groupe puisque la composition de From Here n'a nécessité que deux mois. Les chansons en sont d'autant plus fortes, la sincérité évidente dans le processus faisant émerger des titres parfois peu évidents à la première écoute mais qui grandissent en nous avec quelque persévérance. Au final, ils agissent tels des mantras rock. Le groupe sait toujours produire de grands hymnes, c’est l’évidence ("Where I am", le single "End Of Days") mais se fait aussi plus introspectif ("From Here", "Setting Sun").
NMA sort aussi et une fois de plus de sa zone de confort avec des idées audacieuses en termes de structures ("Maps"), des chœurs extraordinaires (le final de "Hard Way") et même si le groupe est reconnaissable par tous, de réelles prouesses résident dans les détails et la volonté de toujours expérimenter.
Cet album apporte une vraie respiration, un sentiment de bien-être qui s'était rarement dégagé avec une telle intensité chez les musiciens originaires de Bradford. Les textes semblent particulièrement pondérés, placides ("Conversation", "Setting Sun"), apaisés même. Ils se rapprochent de l'album solo que Sullivan avait sorti en 2003 (Navigating By The Stars), empreints de références à la nature et aux éléments, à l'avenir de la planète et la place de l'homme. Mais il faut rassurer les traditionalistes de la première heure. L'apparente sérénité ne se mue jamais en sénilité : le propos reste acéré et sarcastique lorsqu’il le faut ("Watch and learn").
La pochette réalisée par Joolz résume probablement mieux l’album que nos mots : elle évoque une nuit lumineuse, incandescente dans une forêt baignée d’une atmosphère magique. Un tour de force auquel nous ne nous attendions pas.
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Photographie : Ralf Mitsch