Additionner les énergies sans soustraire le passé
Quatre années se sont écoulées depuis le jubilatoire Music Complete, démonstration de force (certes débattue) du son synthétique-guitare-basse et de la puissance mélodique de New Order ; et voilà le combo mancunien de retour avec l’album live ∑ (No,12k,Lg,17Mif) : So it goes..*
Enregistrée en juillet 2017 aux studios Old Granada dans le cadre du Festival International de Manchester, l’œuvre revisite sans céder à la facilité le catalogue et l’ADN du groupe, en compagnie de douze musiciens du Royal Northern College Of Music, dans une orchestration savamment étudiée par le compositeur Joe Duddell (et accompagnée sur scène par une création visuelle signée de l’artiste contemporain Liam Gillick)… une équation sans inconnue et sans reproche, un art parfait de la synthèse.
[* Vous n’y entendez goutte ? On vous explique : Σ (somme) de No (New Order), de 12 synthés (12k) et du scénographe Liam Gillick (Lg) au Manchester International Festival de 2017 (17Mif)… c’est ainsi !]
Photographies : Nick Wilson
"Here are the young men, the weight on their shoulders…"
Revenir sur la scène des Old Granada Studios de Manchester là où Joy Division fit ses débuts à la télévision dans l’émission So it goes de Tony Wilson (1978) n’a non seulement rien d’anodin, mais en dit long sur l’intentionnalité de la démarche de New Order. Peut-être celle d’affirmer que Le Nouvel Ordre et la Division de la Joie sont issus d’un même placenta artistique et sont les deux volets d’un même récit. Un récit qui tutoie le dansant et le mélancolique, distille le chaud et le glacial, déploie l’intime et le monumental. Dont acte.
∑(No,12k,Lg,17Mif) : So it goes.., album d’intention ? Oui, certainement mais aussi retour aux sources avec une setlist inédite, expurgée des vieilles gloires attendues comme "Blue Monday" ou "Temptation" au profit de titres très rarement joués comme "Shellshock", "Disorder" ou encore "Elegia".
Entre continuité et rupture
Ces dix-huit titres sur format double CD permettent de traverser avec émotion toutes les époques et les moments clés de la discographie de New Order et de Joy Division. Dopé par l’orchestration "philharmonumérique" de Duddel, le groupe enchaine avec une très belle énergie des titres qu’il a "déconstruit, repensé et reconstruit" pour l’occasion... Albrecht et ses camarades en ont encore sous le pied.
"Times change" (Republic) ouvre l’album dans une version instrumentale assez hypnotique, suivi d’un puissant "Who’s Joe" (Waiting For The Sirens’Call). On apprécie un "Ultraviolence" (Power, Corruption And Lies) dans une version remusclée guitare et basse, un "Shellshock" qui perd son apparente légèreté pour gagner en gravité et en profondeur, un "All Day long" (Brotherhood) réimaginé efficacement ou encore un "Sub-culture" qui résonne toujours comme l’hymne dansant d’une génération mancunienne désenchantée. On frise aussi la béatitude devant le sublime enchainement "Sub-culture" / "Bizarre Love Triangle" / "Vanishing Point". De la belle ouvrage.
L’intensité est prégnante sur l’ensemble de l’exercice. Le deuxième CD est d’ailleurs une concentration mélancolique puissante avec notamment les titres comme le très intériorisé et sublime "Decades" et le titre "Elegia" (en bonus) dans une interprétation magistrale et symphonique.
Magie du live, des manifestations de ferveur et d’émotion du public anglais se font souvent entendre et viennent saluer la performance ou l’interprétation, comme pour l’éblouissant "Disorder" (Unknown Pleasures).
"It's official, you're fantastic, you're so special, so iconic, you're the focus of (our) attention…"
Force est de constater que la chimie du groupe dans sa nouvelle configuration est intacte et que le processus créatif reste toujours vivace. À soixante-et-un ans, Bernard Sumner signe d’ailleurs ici probablement une de ses meilleures interprétations live, avec beaucoup de sobriété et une coloration vocale plus sombre et totalement maîtrisée.
Démonstration réussie pour le groupe de Manchester qui, fidèle à son habitude, poursuit sa démarche artistique de manière disruptive, ne faisant ni fi de son passé, ni ne cédant au clientélisme facile. L’équation est ici éblouissante, jamais racoleuse. New Order, s’il en a beaucoup derrière lui avec bientôt quarante ans de contribution au patrimoine new wave, promet encore quelques belles surprises à l’avenir.
La suite devrait d’ailleurs vite se profiler… so, Get ready.