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Livre
25/11/2022

Nicolas Martin & Simon Riaux

Alien | La Xénographie

Editeur : ActuSF
Genre : monographie
Date de sortie : 2022/11/18
Note : 87%
Posté par : Mäx Lachaud

Mythe cinématographique qui a définitivement changé l’univers de la science-fiction, Alien, Le Huitième Passager (1979), et les suites qu’il a engendrées, ont laissé leur empreinte sur plusieurs générations d’auteurs. À travers cette monographie, très joliment présentée et illustrée par Zariel, les directeurs d’ouvrage, Nicolas Martin et Simon Riaux, ont souhaité garder cette dimension d’expérience intime dans tous les textes qu’ils ont rassemblés. En cinq parties et en plus de cinq cents pages, ils couvrent tout le spectre de la saga, l’inscrivent dans une histoire du cinéma, en analysent les thèmes, les nombreuses déclinaisons (jeux de rôle, jeux vidéo, bandes dessinées…) jusqu’à terminer sur des textes de fiction marqués par cette influence. Les approches peuvent être politiques, féministes, techniques, poétiques, ne faisant que souligner la richesse d’un film essentiel.

Car oui, le Alien de Ridley Scott est bien un chef-d’œuvre, et cela ne fait aucun doute pour la trentaine de plumes qui ont participé à ce livre. D’abord, on se remet dans le contexte de ce qu’était la science-fiction à l’époque, avec quelques dates-clé (Le Voyage Dans La Lune en 1902, Planète Interdite en 1956, La Planète Des Vampires en 1965, 2001, L’Odyssée De l’Espace en 1968…). Dans les space operas de l’avant-Alien, l’espace était une extension de la culture collective où l’humain était représenté comme un conquérant (Star Trek, Star Wars). À partir d’Alien, il va devenir une proie, pas un héros mais un prolo dans un vaisseau sinistre qui ressemble à un cargo à l’abandon. Le cosmos se transforme en un espace politique où le monstre capitaliste continue à tirer les ficelles (la multinationale Weyland-Yutani). Les créatures ne sont pas juste exotiques, elles sont une menace terrifiante, sexualisée et sale. Serge Lehman et Laurent Aknin rangent avec raison le film du côté du gothique et du sublime (dans l’acceptation d’Edmund Burke, en opposition au beau trop lisse) : les passages secrets, les corridors étroits, la verticalité de l’espace (en contraste avec une mise en scène horizontale), l’obscurité permanente et une peur de l’indicible marquée par Lovecraft.

Ainsi naît le culte du film, lui-même héritier du Dune jamais achevé de Jodorowsky, où H.R. Giger a rencontré Dan O’Bannon, et du projet précédent de ce dernier, Dark Star (1974) de John Carpenter. Les liens avec le cinéma horrifique sont nombreux (Hélène Frappart parle de L’Exorciste en particulier), notamment le slasher et sa Final Girl. Après un quiz épineux par le Chien Critique, la première partie (Le Facehugger) se consacre entièrement au premier film et nous offre notamment un entretien avec Walter Hill, co-auteur et co-producteur du film. Les influences littéraires sont nombreuses : les nouvelles Black Destroyer et Discord In Scarlet d’E. Van Vogt, La Chose de John W. Campbell, Les Montagnes Hallucinées de Lovecraft, Étoiles, Garde-à-Vous ! de Robert A. Heinlein… Des énigmes sont soulignées : Pourquoi huit passagers ? Que fait-on du chat et du spectateur-voyeur? Pourquoi le film commence-t-il par un réveil et se termine-t-il par un endormissement ? La dimension avant-gardiste et féministe du film est soulignée, notamment dans ses métaphores sexuelles et dans la peinture d’un univers où les hommes peuvent être fécondés.

Le chapitre de Benoît Basirico sur la musique du film est particulièrement jouissif : les expérimentations de Jerry Goldsmith au sein du langage orchestral, son instrumentarium atypique (une chalemie, un didgeridoo, un serpent, deux conques, des cloches, un gong japonais…), le tout souvent retraité à l’Echoplex... Ridley Scott cherchait un minimalisme sombre et des compositions atonales dans la veine de Penderecki ou Ligetti, et obligea Goldsmith à refaire sa partition. La musique se devait d’embrasser le silence et le vide pour créer la tension. Et certains auteurs, qui ont pu voir le film en salle lors de sa sortie initiale, soulignent les cris de terreur dans la salle tant on n’avait jamais vu quelque chose d’aussi impressionnant.

La deuxième partie (Le Chestbuster) revient sur tous les épisodes de la saga. Gilles Penso est interviewé pour parler des effets spéciaux. On y parle aussi de celle qui deviendra une superstar, Sigourney Weaver, ou des vaisseaux, de tout le décor industriel et la biomécanique de Giger. Le chapitre de François Angelier sur la réécriture de l’Apocalypse dans Alien 3 est franchement stimulant.

La troisième partie (le Xénomorphe) se consacre à l’univers étendu, celui des novelisations (un entretien avec Alan Dean Foster), des comics, jeux vidéo et autres.

La quatrième partie (La Reine) va plus loin dans l’approche psychanalytique et l’exploration du visqueux en nous, notre part aliénée. La confrontation aux monstres y apparaît comme un rite initiatique. Mais qui sont les vrais monstres? Les androïdes? La machine capitaliste? La cinquième partie ne peut alors que nous amener vers l’univers de l’imagination, de la poésie, des nouvelles et de la fiction.

Au final, c’est un ouvrage foisonnant qui nous est proposé, où l’organique s’affronte au technologique. Une des premières choses que j’ai faites d’ailleurs suite à la lecture était de me replonger dans l’œuvre de H.R. Giger tant ses visions étaient puissantes. Et il me tarde déjà de pouvoir revoir les films (notamment celui de Jean-Pierre Jeunet, souvent mal aimé) avec toutes les clés que ce livre m’a données. Indispensable et jouissif pour tous les amateurs.