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Album
27/02/2023

Norma Loy

Ouroboros

Label : Manic Depression Records
Genre : rock noir et hanté
Date de sortie : 2023/02/17
Note : 80%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Depuis sa résurrection discographique en 2009 avec l'album Un\Real, Norma Loy reste un projet actif pour les amis Usher et Chelsea. C'est leur groupe de cœur, celui qui fédère et aimante, celui qui irradie les autres productions des deux artistes, qu'elles soient visuelles pour Chelsea / REED O13, ou musicales dans le cas d'Anthon Usher Shield.

Ce nouvel album, cela fait de longues années qu'ils l'ont en esprit. Pour faire une pirouette, on osera même suggérer que cet ensemble de reprises était présent dès le démarrage de Norma Loy, après les esquisses Coit Bergman et Metal Radiant. Car Norma Loy est un concept artistique sous influences, nourri des lectures, visionnages, écoutes et discussions. Les albums de Norma Loy ont eux aussi multiplié les reprises et hommages, refusant la posture du groupe sorti de nulle part.

Il y a cependant un écart entre le fait de placer une ou deux covers par-ci, par-là, et la volonté de sortir tout un album de reprises. L'exercice n'est pas neuf, et j'ai établi ailleurs une belle liste de très bons albums constitués uniquement d'hommages à des artistes différents. Dans le cas de Norma Loy, il ne s'agit pas d'un manque d'inspiration. Les dizaines de sorties sous différents noms réalisées par Usher depuis seulement une dizaine d'années attestent de la pleine maîtrise de son art de compositeur.

Il reste que l'album se positionne, à l'heure actuelle, en fin de parcours (nul ne sait si Norma Loy a en vue un, cinq ou même dix albums dans la décennie à venir) et s'inscrit dans cette logique de conclusion pour l'auditeur. Le choix du titre et du visuel amènent à réfléchir. On a là l'idée d'une boucle, la même qui régit le final des aventures de Philémon dans la BD du même nom lorsque Fred, le dessinateur, sentant sa fin venir, précipite les dernières pages de Le Train Où Vont Les Choses dans le démarrage de Le Naufragé du A. L'ouroboros crée un cercle qui brave ainsi la finitude puisque inlassablement recommencé. 

Sauf que, Norma Loy ne revient pas au départ. Il ne s'agit pas du réenregistrement de leur premier maxi, quand bien même on retrouve ici le titre "Romance", séminale complainte signée officiellement Coit Bergman, qu'on découvrait en premier morceau du premier quatre titres de Norma Loy chez New Wave Records en 1983 et paru à grande échelle sur la compilation 82/84 de Just'In / Eurobond en 1989. Non, il s'agit de revenir aux sources, sans pour autant se cantonner à une date précise. Les sources, peu importent les années de sortie des disques (le titre de Lynch / Badalamenti date de 1990, sur Industrial Symphony No. 1: The Dream of the Broken Hearted). Les sources se renouvellent et s'accumulent, s'entrecroisant ; le propos des deux hommes n'a jamais été de faire preuve d'une stricte rigueur chronologique. Ils s'amusent d'ailleurs à reprendre leur titre comme si c'était un hymne synthétique à la New Order (on pense fortement à Ian Curtis sur la répétition qu'ils font du mot "radio").

C'est peut-être sous cet angle qu'il convient de prendre philosophiquement cet album : ces titres n'ont pas d'époque et n'ont plus de créateur unique. Ils ont dépassé ce cadre. Les sortir aujourd'hui ne dit rien du parcours chronologique de NL. Ce n'est ni une fin, ni un sursaut morbide, ni un rebond ressourcé. Je vous le donne en mille : c'est simplement l'occasion de se faire plaisir – et ça, le plaisir, c'est une donnée importante pour saisir Norma Loy. Ajoutons les notions de jeu et de liberté pour tenir une sainte Trinité. Il y a sans doute aussi de la taquinerie, de la provocation en plaçant "Romance" au milieu des grands noms que sont le Velvet Underground, Leonard Cohen et David Bowie.

Une fois dégagé des craintes et des interprétations oiseuses, il reste à savourer ce nouvel ensemble de titres de Norma Loy. Car ce que touche le binôme devient du Normal Loy. Ainsi, le slow de Leonard Cohen, lui aussi apte à danser au second degré, se mue en intemporelle bluette, résumant une certaine idée de l'Amérique perdue telle que sublimée par les films et séries B des années 1970 revisitant les fifties. Pour ceux qui connaissent, c'était le principe de quelques-uns des titres de Rewind / T. Vision sorti en 1986. "Up in Flames", de David Lynch, provient de cette même faille temporelle hypnotique sur fond jazzy et sirènes d'alerte. Les belles voix qui accompagnent la reprise de Bowie font elles aussi partie de ces éléments d'intensité dont le groupe est friand. "Next one is real" défigure en partie la volupté de Minimal Compact, la transfigurant en un chant toujours sexy et arrogant, mais sur un fond musical cabossé et robotique. C'est bizarre et bon. Les libertés prises avec les originaux font revivre les titres, le duo s'appropriant les structures et les irradiant de ses propres sons : "A Night to forget" démarre ainsi avec un pastiche de "1964 Shadows" de Norma Loy. Puis la voix de Chelsea, la basse crépusculaire en font un standard gothique et ténébreux de premier ordre.

Pour rester dans une longueur de chronique respectable, il faut maintenant en venir à la forme : les intentions louables et réfléchies ont permis de donner corps à un superbe album, dont les titres s'enchaînent aisément, entre ceux qu'on connaissait (une partie du public attaché à Norma Loy possède leur riche culture) et ceux qu'on découvre, ou encore ceux dont la vision est une exquise surprise ("In a Manner of Speaking" me fait trembler). La capacité à faire leurs les compositions des autres amène à prendre Ouroboros comme un album de Norma Loy à part entière (sauf pour les paroles, malheureusement, mais les choix des textes résonnent avec leur univers). C'est sans doute avec la terreur renouvelée de "What a Day" qu'on a le meilleur single possible : le titre cumule tout. Les souvenirs, l'amour, l'hôpital, la figure tutélaire de Genesis P. Orridge, la voix qui se confie, les percussions asiatiques, les drones, les effets de bandes, le minimalisme, la mélodie et l'agression.

En 2023, Norma Loy réussit à sonner comme un jeune groupe. Ils ont à la fois vingt et soixante ans. Le ton prophétique de "Fire of the Mind", le titre de Coil qui clôt l'ensemble, ne nous démentira pas.

Tracklist
  • 01. Saeta (Nico)
  • 02. In a Manner of Speaking (Tuxedomoon)
  • 03. Venus in Furs (The Velvet Underground)
  • 04. Touch me (Suicide)
  • 05. Leaving the Table (Leonard Cohen)
  • 06. Some are (David Bowie)
  • 07. Romance 2022 (Coit Bergman puis Norma Loy)
  • 08. Next One is real (Minimal Compact)
  • 09. A Night to forget (Factrix)
  • 10. What a Day (Throbbing Gristle)
  • 11. Up in Flames (David Lynch / Angelo Badalamenti / Koko Taylor)
  • 12. Fire of the Mind (Coil)