La troisième sortie de ProductionB, label associé à BOREDOMproduct, signe le retour des bandes perdues du Novocibirsk.
Entre 1982 et 1993, Hervé Isar a accumulé du matériel technologique (la liste des synthés et claviers utilisés est une mine pour collectionneurs et passionnés) et musical. Ces recherches et créations n'avaient pas fait grand bruit. La sortie du premier volume avait étonné, intrigué : était-ce un coup monté par l'audacieux label marseillais ? Hervé existait-il vraiment ? Cette fois, les questions ne se posent plus avec la même acuité. Les disques sont là. Il est établi également que les bandes archivées, déterrées, exhumées ont été réorganisées, ré-arrangées par Member U-0176 et masterisées par Laurent Cristofol, le label s'engageant pleinement pour ces sons et compositions.
On a ici cinq compositions, dont quatre instrumentaux puisque quelques voix sont semées sur "Die Sonne über Novocibirsk", électron libre du disque ainsi compilé. Ce qui surprend de prime abord, c'est l'hétérogénéité des durées : le titre "Die Sonne" dure moins de deux minutes alors que "Nuclear Propagation" en fait plus de quinze. Il faut alors écouter de plus près : un titre n'est pas uniforme. Ainsi les plus de onze minutes de "Baïkal Depths" sont divisées en plusieurs mouvements savamment agencés. L'adverbe est mal choisi : Novocibirsk n’œuvrait pas dans la musique savante ; il s'agit plutôt d'intuitions et de sensations. À quel moment varier les tonalités, les rythmes, les mélodies ? Comment un morceau se constitue-t-il au-delà d'une jam en solitaire ? Paradoxalement, en écoutant ces morceaux synthétiques, je pense à la façon dont Jimi Hendrix, guitariste dans un groupe, pensait et vivait sa musique :
« Parfois quand je monte à Harlem, les gens écoutent ma musique et disent : "Elle est blanche ou noire ?" Alors je leur réponds : "Pourquoi vous cherchez à la disséquer ? Essayez plutôt de la ressentir." Les gens sont trop fermés sur les catégories musicales. Ils refusent d'écouter un morceau sous prétexte que le son leur paraît totalement étranger. (…) Tout le monde a de l'âme. La musique n'est l'âme de personne. C'est quelque chose qui vient du fond du cœur. Il ne s'agit pas nécessairement de notes audibles, sensibles à l'oreille. Ça peut être des notes qu'on perçoit par le ressenti, la pensée, l'imagination ou même les émotions. J'aime bien les mots "ressenti" et "vibration". »*
De manière similaire, Novocibirsk est aussi une expérience avec du matériel et une liberté totale dans ce qui se produit au moment où ça surgit. Ainsi la lente progression pleine de détails et de volutes de "Nuclear Propagation" est un étendard à la contemplation. Malgré son titre pessimiste, c'est comme un rayon de soleil qui s'épanouit et réveille la vie le matin. À écouter au réveil devant sa fenêtre pour une démonstration... "Anfang als Ende" place aussi une mélodie suspendue au-dessus de ses bruits de pales et ses vrilles tournoyantes.
Ce Volume II n'est aucunement un fourre-tout de titres délaissés. La qualité est de mise. Avec le travail de résurrection accompli, ces cinq compositions sonnent et se complètent (sans l'interlude, les plages 3 et 5 se perturberaient) ; tenez : on peut même y entendre du Perturbator (mais si, ce passage aux sept minutes de "Baïkal Dephts" qui mêle Carpenter et modernité...). Même les parasites de "Sound of Freeze", son souffle gardé tel quel, prennent sens puisque les nappes en pulsations noires sont, elles, audibles et propres.
Il reste qu'avec ce disque, la question se renforce : pourquoi un style musical tel que celui-ci parle autant aujourd'hui ? Nous fêterons dans quelques mois les cinquante ans de l'album Irrlicht de Klaus Schulze et cette musique du cosmos, de la froideur mouvante fait toujours effet.
À vous de donner vos réponses.
* extraits de Jimi Hendrix, Mémoire d'Outre-Monde (J.-C. Lattès).
