La musique est affaire de rencontres, chimie, camaraderie espérons-le. Older, dont les membres sont dispersés en hexagone et au-delà, est de cette France qui fourmille en mode DIY : exemple parmi des milliers de ces groupes entrés sans reculer dans l’ère de la collaboration à distance et du recours à la technologie. La création en musique, clairement, n’est plus dépendante de la présence les uns aux autres, même si la chair d’un combo rock naît et perdure a priori par la rencontre dans le réel. Ce qu’ils font aussi, mais… quand ils le peuvent.
Coup de projecteur aujourd’hui sur ce mode indépendant et cette souplesse de la collaboration via cet entretien avec une bande de joyeux drilles, adeptes autant de musique technologique, trip hop et indus-rock que de vieilles références cultes en grunge, spleen rock, stoner ou indie. Une communauté de goûts et d’intérêts faite artisane en son.
Obsküre : L’indépendance est une manière de faire, et traduit sans doute une manière d’être. Avez-vous monté le projet dans l’idée de tout faire par vous-mêmes, ou l’hypothèse de rejoindre une écurie existante a-t-elle traversé l’esprit de certains membres ?
Fabien : La méthode de travail n’a pas été l’élément fondateur du groupe. On se connaît tous depuis plus de trente ans, nous sommes toujours restés en contact. Il y a cinq ans, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas monter un projet ensemble, malgré la distance ?
Pierre : Si l’action précède la pensée et l’instinct d’un groupe aux racines fraternelles, Lourdes a fait le reste.
Stéphane : (rires) Ce que veut dire Pierrot c’est que dès le départ il y a eu une envie très forte de se retrouver, d’avoir un projet commun. Nous avons commencé avec l’idée de jouer ensemble, et les compositions sont venues très vite, comme une évidence. Nous avons tout de suite cherché à créer notre univers. Beaucoup de tâtonnements, donc au départ une ambiance plutôt tournée sur nous-mêmes.
Fabien : Oui, de ce côté-là, on fait tout, tout seuls. L’idée à la base, c’était plutôt de chercher à se définir.
Vous vivez à distance les uns des autres et créez les conditions de votre exercice par le recours au web et à la technologie. De quelle manière organisez-vous l’activité : écriture, enregistrement, répétitions ?
Pierre : La distance hélas nous amène à la théorie des cordes que nous devons accorder dans un temps chargé d’obligations, alors qu’au départ le plus long était de savoir qui achète les bières pour la répétition du vendredi soir. En visant l’ambition du tout, il faut admettre que chacun aujourd’hui progresse dans son angle.
Stéphane : C’est un réel pied d’avoir la maîtrise de tout le processus. Plus aucune limite à la composition, à l’introspection et à l’explosion.
Tom : Ça existe encore en 2019 des mecs qui rentrent en studio, qui font des prises, tout ça… ?
Comment se travaille une composition à distance ? Comment s’organisent le débat et la progression sur la forme à donner à un titre ?
Tom : Stéphane est souvent à l’origine de l’élément déclencheur, il propose au groupe un riff, un début de structure.
Christophe : Oui, il est assez prolifique, on a des cartons bien remplis !
Stéphane : À la base il y a une proposition de chanson, puis le groupe réagit. Chacun ajoute sa pierre à l’édifice. Nous essayons d’inclure assez vite la ligne de chant pour lui donner une place importante, puis arrivent les différentes couches, batterie, basse, guitare, samples. Parfois, la composition est totalement retournée. L’identité du groupe passe par ce processus, en lui-même très grisant.
Philippe : De manière plus ou moins implicite, chacun a un rôle : Stéphane allume la flamme, Tom et Chris travaillent la musicalité, le rythme les arrangements. Fabien tire le morceau vers l’électro en se concentrant sur la progression de la chanson.
Fabien : La difficulté mais aussi l’intérêt de l’exercice, c’est de faire la somme de nos influences : du rock, du grunge, voire du métal ou de l’electro. On aime bien aussi avoir un côté un peu planant, progressiste. Trouver notre point d’équilibre, ce qui ne va pas sans générer quelques étincelles… n’est-ce pas Pierrot ?
Pierrot : Au départ c’est une démocratie et ensuite les plus doués s’imposent. C’est très bien ainsi, l’excellence permet de survivre.
Tom : Je trouve que Fabien a assez bien résumé les marqueurs de chaque Older sur notre page Facebook.
Les répétitions sont des moments rares dans la vie d’un groupe comme le vôtre. Les envisagez-vous davantage comme un moyen de retrouver les copains ou y’a-t-il une préparation a minima, un ordre du jour, des objectifs ?
Pierrot : Il y a les désordres de toujours mais tout le monde veut plus de fréquence…
Tom : On cale quelques répétitions dans l’année, que l’on attend impatiemment car ce sont des moments de mise en pratique assez forts. Donc oui on essaie d’organiser en amont, pour arriver le plus aiguisé possible. C’est un moment ultra privilégié où on joue non-stop pendant un week-end, ça nous fait un bien fou.
Fabien : Si tu arrives à la répétition et que tu as oublié d’apprendre un couplet sur un morceau, tu sais que tu ne pourras le tester dans le court terme, donc on se met un peu la pression et bon… on vous rassure, on célèbre aussi : nous payons notre tribut aux Dieux du rock’n’roll !
Vous vous essayez parfois à l’exercice de la reprise, ce dont Eurythmics a fait les frais avec votre cover de "Here comes the Rain again". Qu’est-ce qui fait l’intérêt de l’exercice et quels sont selon Older les critères de la reprise réussie ?
Pierrot : On ne fera jamais une cover sur un titre idole.
Fabien : La volonté, c’est d’essayer d’apporter un éclairage inédit sur une chanson dont on n’est pas forcément fan, même si on aime bien celle-là.
Stéphane : Une reprise singeant l’original ne sert à rien. L’idée est vraiment de transformer un morceau éloigné et de le catapulter dans notre univers. Je suis très content de cette reprise, tant au niveau de la direction donnée au titre qu’au niveau de sa production. Le son déchire ! Et puis c’est avec ce morceau que nous avons décidé de creuser le mariage de nos deux voix avec Tom. Il a une place particulière pour moi. Quelques souvenirs aussi.
Votre Soundcloud héberge une série de morceaux sans cesse augmentée, au fur et à mesure de votre avancement. Quel intérêt éprouvez-vous dans le groupe pour la notion d’album ? Est-ce un format que vous pourriez vous réapproprier ou n’en est-il pas spécialement question ?
Fabien : La notion du concept album, c’est pas notre génération, c’est celle d’avant. On n’a jamais écouté Tommy des Who !
Philippe : Aujourd’hui on se tourne vers un public dont l’approche est le streaming, donc on trouve ça sympa de l’alimenter régulièrement... Christophe : Mais on a conscience des limites du procédé. L’avantage d’un album est de proposer un moment, un voyage. Tu lances la lecture et pendant une heure s’ouvre une palette d’émotions. Et puis la notion d’album dans le rock reste encore très forte, donc c’est un support sur lequel il est plus facile de communiquer.
Un certain nombre d’entre vous avez officié dans divers projets DIY par le passé. Quel bilan avantages/inconvénients en tirez-vous ? Qu’est-ce qui fait que vous restez dans ce mode-là ?
Stéphane : L’avantage du DIY c’est cette liberté totale, dans les choix, le tempo. Nous sommes très attachés à ça.
Fabien : Oui, on aime fonctionner comme une démocratie, avec toutes les tensions et les compromis que cela génère car nous mettons beaucoup de passion dans notre travail. On n’imagine donc pas faire des compromis avec une structure extérieure, on aime bien ce côté "on livre quelque chose d’abouti."
Philippe : La limite de ce mode de fonctionnement, c’est la capacité à toucher un auditoire pas trop restreint. On sent qu’on manque de relais pour échanger avec un public plus large. Mais Internet offre beaucoup de possibilités, on va passer à la vitesse supérieure d’ici fin 2019. L’engagement est pris !