Vingt ans au compteur. Dans le viseur d’Olen’k, l’occasion était un peu trop belle pour ne pas sacrifier au rituel de l’anniversaire. Et l’Espace Jules Noriac, du nom de scène du dramaturge Claude Antoine Jules Cairon (1827 - 1882), immeuble aujourd’hui propriété départementale de la Haute-Vienne, offrait écrin idéal. Deux shows, deux soirs de suite.
Olen’k s’est déjà produit dans cet ensemble immobilier datant de la fin du XIXème siècle, héritage de la communauté jésuite comprenant une chapelle (la salle "haute") et une crypte (dite "salle basse"). Un espace d’accueil de belle tenue et en lequel s’organisent résidences préparatoires et performances de tous ordres : musique, théâtre.
L’une des premières visites d’Olen’k à Noriac, dans notre mémoire, date du 23 avril 2004. À l’époque, le line-up inclut Patrice Debet aux machines. Un Debet que le fondateur Manuel Costa n’oubliera pas de remercier nommément à l’issue du second concert, évoquant dans le même temps d’autres personnes associées au devenir du groupe via l’association Silencio, dont un certain Stéphane Bourgeault : l’un des piliers du collectif et faiseur entre autres des vidéoclips du groupe, jusque dans ses récents développements pour Architextures (février 2018).
Le temps a passé, mais Olen’k continue de vivre sa vie. La configuration actuelle a intégré avant Architextures le guitariste et bassiste Florian Compain (Ingrina, Death Cult) et compte en ses rangs l’indéfectible batteur Alex Morlay : un type auquel on ne peut que rapporter rigueur, sobriété et discrétion. Sur scène, sa gestuelle économe et précise est un petit spectacle, et les soirées des 25 et 26 octobre 2019 ne l’ont en rien démenti.
La setlist concoctée pour ces soirées évènementielles est exécutée quasiment à l’identique chaque nuit, à l’exception d’ "Inside", délivrée uniquement le premier soir. Une place spéciale a été accordée à Architextures : sept titres sur les dix de l’album sont joués, ou comment défendre aujourd’hui ce qui a été fait juste hier en studio avec Rémy Pelleschi (Mlada Fronta). Mais ce n’est pas faire table rase, et loin de là. Olen’k embrasse le passé sous les arcs de Noriac. C’est un voyage à consonance anthologique, servi en technique par des personnes remplissant leur office avec sérieux et précaution : Christophe Marraud au son (précis, équilibré, envoûtant) et Laurent Dany, authentique serviteur aux lumières. Protectrices, cinématographiques.
Le public, néophyte ou non, en a pour son argent. Chaque concert est séparé en deux sets distincts. Le travail de réarrangement des anciens morceaux a impliqué un lourd travail pour Costa (ses mots ne trompent pas lors des petits aftershows avec le public dans l’espace d’entrée de Noriac). Version extrêmement minimale pour "Season of Tears", dont la trame mélodique, jouée par Manuel, tapisse discrètement en dessous du binôme de voix frontalement à l’œuvre.
Autres réinventions remarquées, entre autres : "Japan Garden" (titre d’ouverture du deuxième album The Floating World) ou la reprise du "She’s dead" de 42e Rue (ancien projet impliquant Costa et Phil Sage, ce dernier ayant participé au concert de 2004 à Noriac). "She’s dead" : un classique intégré depuis l’origine par Olen’k à son répertoire, à commencer en studio par une restitution sur son premier album Silently Noisy (Cold Meat Industry, 2005). Alors que la basse était l’un des moteurs de fond de cette sensible et puissante construction coldwave, le groupe a réinventé le morceau à partir d’une granulation numérique et enrichie en guitares, pour en tirer beauté inédite et puissamment évocatrice. Un ange passe. Le chant d’Elise a aussi gagné en retenue sur ce morceau, lui faisant à notre sens atteindre climax. De quoi réfléchir sérieusement à un réenregistrement, tant le différentiel constaté va dans le sens d’un service rendu au propos d’origine. S’ils n’y avaient pas encore pensé – mais c’est impossible – nous oui.
L’occasion offerte par ces deux concerts est aussi trop belle pour ne pas souligner la cohésion du collectif à l’œuvre aujourd’hui sous le nom d’Olen’k : les guitares de Florian Compain s’intègrent harmonieusement aux froides hypnoses, complémentant leur magnétisme numérique par une substance aérienne et spleenesque. Une culture est à l’œuvre à travers ce mode opératoire : Olen’k s’inscrit dans certaines lignées, et les deux reprises exécutées sur les deux soirs, réussies, pimentent le set et n’auraient fait rougir ni Robert Smith ("Pictures of you", très beau son) ni Martin Gore ("Never let me down").
La dimension familiale du projet s’est aussi renforcée avec l’intégration live d’une intervenante supplémentaire : Pauline Montastier, sœur de la cofondatrice Elise, et dont le rôle cumulé aux voix et claviers donne renfort au jeu et dans les harmonies. Les deux vibrations de gorge se complètent bien la plupart du temps et si Pauline n’est pas dans la technique autant que sa sœur (quelques sustains encore en fragilité), son renfort n’en reste pas moins crédible… et salvateur : Élise (très au point sur les deux shows) n’est plus seule, et peut se reposer sur une partenaire agissant en conscience et dans le désir. C’est un peu comme si Pauline avait toujours été là.
Avec la nouvelle venue se renforcent la présence machiniste du groupe ainsi que la dimension familiale du projet. Constant sur les deux soirs en termes de musicalité, de rendu et d’implication, le collectif a marqué par la finition de sa musique et son ancrage en mélancolie ("March of Time" et les cordes conclusives et sensibles de Jean-Pierre Raillat). Pour autant, nul préjudice porté à un potentiel organique ("Red Hunter", fondamental et joué aux tripes). Et tout se termine dans le dancefloor ("Blue Orison"). C’était une question d’équilibres.
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Remerciements @ l'association Silencio et à l'équipe de photographes d'Obsküre pour la beauté de leurs captations : Ardönau, Philïppe Cruveilher, Chris Cham, Christöphe Lapassouse.
Merci @ Olen'k pour le soin apporté au fond de catalogue, mais aussi aux techniciens sans lesquels rien ne peut se produire vraiment : Christophe Marraud (son) et Laurent Dany (lumières) pour l'écrin. La magie de Noriac n'était pas seule à agir ces soirs-là.