De la rencontre, découle parfois une (al)chimie : récompense que l’on peut toujours espérer, puisqu’elle ne se programme pas. Or il y a quelque chose, dans l’évidence de ce son, qui tient de la chimie. Ottorn : un trio nourri d’expériences communes en art et qui a su, pour ses premiers pas, poser une imagerie soignée, en cohérence avec la puissance évocatrice du conte. Little Red Riding Hood se réapproprie Le Petit Chaperon Rouge. C'est le premier format long signé Donati / Themlin / Aureche. Il tient de l’EP ou du format mini-album, nommez ça comme vous voulez. Une carte d’identité, six titres. C'est leur apparition. Un moment clef. Lorsque vous entrez dans une pièce, quelque chose de votre posture restera pour toujours imprimé dans l’esprit de vos interlocuteurs. À vous de la soigner, de produire l’effet, créer l’instant décisif.
C’est ce qu’ils font.
L'allure, le son. Il y a dans les voix un souffle, comme une allégresse : foi en ce qu’elles content, creusant sillon de tension dramatique et de nuance. Les tapis sonores sur lesquels les contes déroulent, offrent aux voix un environnement boisé, un feutre. Puissance contenue : elle porte une ambivalence, un clair-obscur. Et puis il y quelque chose de stoïque, sans que ce soit frontal : l’inclination martiale des rythmiques de Nimleth fait la colonne vertébrale de ces petits rituels dans lesquels, éventuellement, surgit une menace : la présence noire d’Aureche (aka Valfeu, de Saturne & Valfeu / Tat…) sur "The Girl" – l’un des titres les plus contrastés de l’ensemble – contrebalance avec bonheur les vibrations en grâce de Nevah.
La délicatesse est une force, et Ottorn a du physique. La vibration acoustique est cristalline ("The Forest"), elle fait battre le cœur. Les voix de Valfeu, aussi, vous travaillent, comme sur "The Grandmother" ("c’est pour te mangeeeer"). Leurs accents rentrés et graves, leur menace, rappelleront forcément aux familiers de l’œuvre les inquiétantes imprécations de Tat. La colonne d’air est la même. Dans ce son demeure un potentiel cinématographique indéniable, exploité avec sensibilité dans les clips. Regardez les petits films qu'ils ont réalisés pour "The Mother" ou "The Moral". Ils veulent, ils font. Nevah exerce contrôle non seulement sur l’artwork – elle dessine – mais aussi sur la dimension costumes. Ottorn s’envisage sonore et filmique. Une démarche ambitieuse et qui repose seulement sur quelques êtres humains. Moteur : désir. Embrasser large, servir une fantasmagorie, le faire pour soi autant que pour les autres, le faire en 2022. Instruments, voix, caméras : Ottorn a d’autres outils que ceux du premier entrepreneuriat de la perduration du mythe (Perrault, les frères Grimm), et le fruit 2022 a une dimension poétique et spectaculaire.
À la découverte du projet, nous nous le sommes dit une nouvelle fois : ces gens-là ne font pas pour faire, et le font encore moins au hasard. La singularité de l’atmosphère et de la démarche, forces de décorum et d'intention, sont le socle. Espérons alors voir le trio bâtir sur lui d’autres histoires : les revisiter, demain les créer de toutes pièces. Ottorn, l'âme des faiseurs.