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Album
15/05/2020

Paradise Lost

Obsidian

Label : Nuclear Blast
Genre : dark metal / doom / gothic metal
Date de sortie : 2020/05/15
Photographies : Paradise Lost (2020) (DR) / Gregor Mackintosch live (Elena Bogacheva [source : PL official FB])
Note : 80%
Posté par : Emmanuël Hennequin

Gregor Mackintosh, de tous les membres de Paradise Lost, est certainement l’un de ceux qui affectionne le plus la chose gothique, comprise "à l’ancienne". C’est lui qui, en entretien, vous sort à l’envi des références telles Siouxsie & The Banshees, Red Lorry Yellow Lorry ou Southern Death Cult. Alors inversement, lorsqu’il n’est plus d’humeur et se distancie de ces choses, ses six-cordes dérivent vers des horizons plus durs et charbonneux. Or Greg pose les fondations de guitares, élément essentiel chez Paradise Lost. De fait et alors, l’élégance du son se dissout. Le résultat prend tournure rugueuse, grumeleuse, plus directement agressive. En témoignent les prédécesseurs d’Obsidian : lourds, vintage, gutturaux. Nick Holmes (chant), lui-même en période dure de par son investissement dans le projet death metal Bloodbath, avait en toute logique laissé parler ses penchants extrêmes sur The Plague Within (2015) et Medusa (2017). De ces derniers, nous sommes restés distants. Notre Paradise Lost, à nous, est celui du surplomb des élégances, dont la croissance a servi la musique du combo - jusqu’à la rendre emblématique d’un genre, et ce à partir d’Icon (1993). Shades Of God (1992) et Gothic (1991) conservent un peu moins nos faveurs, et nous ne vous parlerons pas de l’inaugural Lost Paradise (1990), que nous n’écoutons absolument plus. Décidément, il reste toujours un schisme avec l’Angleterre.

Cette sensibilité aux grâces de Paradise Lost a forcément fait pencher la balance à l’écoute du cru 2020 : une collection que Mackintosh a commencé  à écrire pile le lendemain de la finition du premier album de son projet extrême Strigoi, successeur de Vallenfyre.
Besoin d’air frais chez Gregor ? Le fait est que, de notre côté demeurait l’espérance d’un retour à une mélodicité moins abrupte et résurgence du spleen. Notre souhait est partiellement exaucé sur Obsidian, mais le "partiellement" n’est en l’occurrence adverbe ni de préjudice ni de regret : l’équilibre entre duretés et claire mélancolie, lit de cette nouvelle collection, forme une synthèse des possibles. C’est la marque du disque. Une surprise ? Pas vraiment : ces possibles ont été faits leurs au gré de leur progression par Mackintosh, Holmes & co. One Second (1997, Sank aux manettes) reste certes indépassable mais Obsidian peut jouer un autre rôle, d'importance. C'est une carte de visite : porte d’entrée ouvrant sur un univers, abécédaire des ombres et lumières du groupe natif d’Hallifax.

Le disque est équilibré, sérieux dans ses thèmes et sa musicalité. "Darker Thoughts", qui ouvre Obsidian, est l’un de ses joyaux. L’introduction acoustique et cordée est plus que cela : un développement per se, là où foule de formations estampillées metal se contenteraient de l’effet de style sur quinze petites secondes. Non, pas ici : c’est une vraie première partie, deux minutes formant  crescendo. L’exergue du spleen, la voilà : elle s’impose, avant que Paradise Lost déploie ses emblématiques saturations. L'héroïsme reste du voyage. Sans doute là l’un des meilleurs morceaux du collectif depuis au moins trois albums, et où le fringant Nick Holmes étale tout son spectre vocal (la partie claire inaugurale "à la Fleetwood Mac" selon Greg, a un pouvoir enchanteur). "Darker Thoughts" : une musique typée mais d’audace et de possibles, et qui conte le jeu des influences néfastes, les mauvais choix, le mur sur lequel on s’écrasera.

Mais le sérieux n’est pas la seule caractéristique de fond de la collection 2020. Obsidian contient aussi une part de jeu : le tubesque "Ghosts" est parti d’un rien (la simple expression "For Jesus Christ") et offre aux amateurs d’un grave référentiel 80’s quelque chose à se mettre sous la dent. L'image de certains vieux monstres du gothic rock surgiront forcément et à juste titre, tandis que Paradise Lost conserve ici, en signe distinctif, ses lourdeurs systémiques. Ce jeu leur réussit : "Ghosts" offre un plaisir direct et comparable à celui d’un "Fallen Children" ou un "Say just Words". À cette occasion, Paradise Lost en profite pour rappeler la méfiance qu’il éprouve de tout temps vis-à-vis du religieux, matrice d’un "pseudo-confort" existentiel selon Nick Holmes. Matrice qu’il ne confond pas avec la foi : un phénomène étudié à travers le morceau suivant, "The Devil embraced", et dont Holmes observe les mutations : circonvolutions, transformations de la foi au gré des évènements de vie, du vieillissement. Foi en un Dieu, foi en les autres. Une intrigue existentielle, là encore. C’est un disque sérieux, on vous dit.

Sérieux et précaution confirmés à l’écoute d’autres morceaux, tous empreints de cette recherche d’équilibre entre le dur et l’élégance ("Forsaken", sur "l’aveugle confiance", angle thématique proche de "Devil embraced", les deux en forme de possible diptyque). La production soigne et précise, opposée à celle de Medusa mais toujours assumée par Jaime Gomez Arellano. Le potentiel romantique du groupe explose alors sur la puissante ballade "Ending Days". Une réussite, prélude à un autre très beau morceau : "Hope dies young", prenant racine dans la déception des rêves, espoirs bafoués de l’adolescence. Ailleurs, Paradise Lost concentre d’autres essences. En elles demeure le pouvoir d’agression de leur musique : "Serenity" contient cela, quoique sa partie centrale renferme quelques cristaux gothiques. La voix est caverneuse, dure, les guitares heavy charbonnent.

Les deux titres bonus présents sur l’édition deluxe, plus durs, ne défont pas l’équilibre en style qui se dégage du global : le premier des deux, le doomesque "Hear the Night", fait la part belle aux accents lents et gutturaux de Paradise Lost ; mais les voix claires et le pigment mélancolique des leads alimentent l’ambition de contraste. Colorimétrie équilibrée et "misérabilité" heureuse, en quelque sorte, précédant l’ultime et plus acrimonieux low/mid-tempo "Defiler", lequel prolonge l’intention. Les contenus bonus font se conclure l’album sur une tendance à l'âpreté restée plus ambivalente sur le reste du disque. C’est une fin d’album autre, une sortie par la dimension plus caverneuse de Paradise Lost. Reste dans les deux cas (écoute de la version standard, écoute de l’édition deluxe) un récit au cours duquel le quintette, tout en restant fidèle à lui-même, étale ses atouts et veut éviter l’effet de redite. Une musique d’agilité - et le meilleur album, pour nous, depuis Tragic Idol (2012) voire In Requiem (2007).

Tracklist
  • 01. Darker Thoughts
  • 02. Fall from Grace
  • 03. Ghosts
  • 04. The Devil embraced
  • 05. Forsaken
  • 06. Serenity
  • 07. Ending Days
  • 08. Hope dies young
  • 09. Ravenghast
  • 10. Hear the Night (deluxe ed. bonustrack)
  • 11. Defiler (deluxe ed. bonustrack)