Larme Secrète commence très fort avec un titre krautrock en diable mené par le chant et les cris de Marc Hurtado, fondateur à la fin des années 1970 du duo avant-gardiste et industriel Étant Donnés (avec son frère Éric). Le Montpelliérain n’a de cesse de collaborer avec les personnalités les plus illustres de la scène no wave et industrielle, de Lydia Lunch à Michael Gira en passant par les tristement disparus Alan Vega, Z’EV, Gabi Delgado de D.A.F., Genesis P.Orridge, ou encore Sky Saxon. Quelle hécatombe, bordel de Dieu !
Pour ce nouveau projet né lors de l’hommage à Alan Vega en juin 2018 à Paris où le duo jouait une reprise de "96 Tears" (on ressent d’ailleurs la présence spectrale omniprésente de Vega et Suicide sur tout l’album, particulièrement sur "Eté", qui sonne comme une reprise du duo new-yorkais), c’est donc Pascal Comelade (Fall Of Saigon early 80’s, Heldon…) qui se retrouve aujourd’hui en symbiose musicale avec l’ami Hurtado. Le multi-instrumentiste catalan en perpétuel mouvement, lui aussi originaire de Montpellier, a créé des boucles minimalistes électroniques dont il a le secret et auxquelles Marc a rajouté quelques sons et les voix. Ces échanges effectués, Pascal a ensuite ajouté en studio de nouveaux instruments acoustiques pour parfaire le tout.
Ce tout s’enchaîne à la perfection et le côté répétitif de la musique hantée par les poèmes déclamés ou susurrées par Marc engendrent un état proche de la transe hypnotique. Point de rabâchage ou de redondance pour autant, chaque morceau se détache l’un de l’autre avec son atmosphère propre : batterie caverneuse sur "Larme", néoclassicisme romantique sur "Or", ambiance mystérieuse et orientale sur "Cri" avec cette "vibration électronique aiguë menaçante comme des abeilles au dessus d’un visage", comme le décrit si bien Hurtado lui-même… L’arme secrète du duo, qui pourrait tout aussi bien être leur larme secrète, est cette faculté à évoquer dans un même élan de poésie plus ou moins contrôlé le son de la Nature qui nous enveloppe et qui nous menace autant qu’on la maltraite. Tel le fleuve Lez traversant l’Occitanie, Comelade transborde son compère au cœur du verbe, ou plutôt du substantif égrené et scandé telle une prière. Et l’énergie solaire de Marc s’exprime alors au mieux : il souffle, expire ses poèmes d’amour, d’étoiles et de liquides corporels jusqu’à la "Spirale" ultime. Ces mystérieuses larmes secrètes seraient-elles le fruit des boucles sonores qui s’entrechoquent jusqu’à faire résonner les silences ? Une expérience lacrymale fortement recommandée, en tout cas !