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Livre
05/11/2021

Pascal Françaix

CAMP ! Volume 1 : Horreur et exploitation. 20 Ans d’Outrances dans le Cinéma Anglo-saxon (1960-1980)

Editeur : Marest
Genre : essai
Date de sortie : 2021/10/14
Note : 88%
Posté par : Mäx Lachaud

Ouvrage jouissif s’il en est, ce nouveau livre de Pascal Françaix, déjà auteur de romans, nouvelles et anthologies sur le cinéma horrifique en mode teenagers ou torture porn, est un des grands événements littéraires de cet automne. Pourquoi ?  Tout simplement parce qu’on attendait un volume pareil depuis longtemps et parce que le plaisir à le lire est unique, un vrai bonheur pour cinéphiles aux goûts excentriques.

Le terme "camp" étant un peu fourre-tout et fâcheusement associé au kitsch, une définition s’impose avant tout. Françaix parle du "glamour de la décrépitude", comme quand des anciennes stars hollywoodiennes se mettent à ressembler à des drag queens dans des films outrageux et excessifs comme le fameux et influent Qu’est-il Arrivé À Baby Jane? en 1962, qui à lui seul a donné naissance à la hagsploitation ou au "mélodrame gériatrique", genre cinématographique possédé et jubilatoire qui méritait un ouvrage à lui seul. Avez-vous vu ces chefs-d’œuvre siphonnés que sont Une Femme Dans Une Cage, Chut… chut chère Charlotte, The Baby ou Butcher Baker, Nightmare Maker ? Des perles dans leur domaine où les actrices vieillissantes s’en donnent à cœur joie dans l’autodérision et le pathétique grimaçant.

Car l’excès est la base même du camp. Il faut en faire des tonnes, user de l’artifice et transformer la vie en un théâtre permanent. Bette Davis, Joan Crawford, Piper Laurie, Olivia de Havilland, Shelley Winters et Vincent Price en sont devenus des icônes passionnées en fin de carrière et, comme le souligne Christophe Bier dans sa préface, ce livre est autant un hommage aux acteurs qu’aux cinéastes, ce qui est rarement le cas dans ce type d’ouvrages qui décortiquent un genre.

Dans ces récits morbides et grand-guignolesques, la star sur le déclin est un monstre qui exagère sa propre féminité, se joue des identités et nous en met plein la vue. L’angoisse de vieillir est dépassée, renvoyée dans l’univers du spectaculaire. Dans cette approche, très éloignée d’une hétéronorme mensongère et non dénuée de certains sous-textes sadomasochistes, les genres se confondent, et l’auteur n’hésite pas à dévoiler comment il a pu s’affirmer dans sa propre homosexualité à travers ces films. Ses analyses, fort personnelles et pertinentes, ne mettent jamais de côté l’aspect politique de films qui pourraient passer pour des versions sans limites du Sunset Boulevard de Billy Wilder (on pense à l’incroyable performance de Gert Hammond dans le Thundercrack! de Curtis McDowall). Car homosexualité et esthétique camp communiquent en permanence. La féminité y est boursouflée, surjouée, rendue ridicule, le matriarcat toujours monstrueux, mais derrière ces maquillages et déguisements se cachent souvent des douleurs bien plus troublantes. Et si les relations humaines n’étaient qu’un jeu de manipulation permanent, un jeu d’apparence moral, social et sexuel?

L’ouvrage aurait pu se contenter de proposer une anthologie de cette hagsploitation, s’attarder sur les œuvres fascinantes mais peu reconnues de Robert Aldrich, l’enragé, ou Curtis Harrington, mais l’auteur va bien plus loin dans son approche de "la classe et la crasse", revenant même sur un documentaire comme Grey Gardens des frères Maysles. Le réel aussi n’est donc qu’un art de la représentation. Et nous n’en sommes là qu’à la première partie.

Dans la seconde, il se penche sur le cinéma d’épouvante à proprement parler, de l’expressionnisme allemand, qu’il nomme "le premier âge d’or du camp", jusqu’aux films de la Hammer, le cycle d’adaptions d’Edgar Allan Poe par Corman jusqu’à l’horreur gérontophile de Pete Walker ou l’univers très noir d’Andy Milligan, de la réinterprétation transgenre du Psychose d’Hitchcock par William Castle (Homicidal en 1961 - image ci-dessus) jusqu’aux mythes fantastiques revisités par Paul Morrissey. La parodie et le pastiche ne sont jamais loin, et forcément dans la dernière grande partie, Françaix ne peut faire l’impasse sur quelques figures incontournables du cinéma d’exploitation, que ce soit les aberrations loufoques de Doris Wishman ou les héroïnes aux poitrines démesurées de Russ Meyer.

Par le goût des films camp à déserter le réel pour un monde tissé d’artifices, l’auteur n’omet pas non plus le “psychédélisme de pacotille” des films de la drugsploitation rendus célèbres notamment par Roger Corman, s’éloignant du coup du sujet horrifique pour annoncer la suite de cette épopée dans le camp vers des territoires plus pop, incluant notamment les musicals et les comédies gay friendly. Car il y aura trois volumes !

Une odyssée au royaume de la déviance. Vivement la suite !