Collection baroque d’écrits et de visuels tirée du vécu et de l’observation du monde, le (beau) livre libre Absurdo (grand format, 210 pages et des poussières) livre des histoires et impressions séparées les unes des autres : chaque page du livre concocté – en autoproduction – par Patrice Verry (Miss Endorphine, Regards) et ses apporteurs d’images (114 artistes visuels, contre la trentaine imaginée au départ par l’auteur) ouvre une porte vers l’émerveillement, le rire, l’abasourdissement, le sentiment de l'inéluctable. À n’y rien comprendre ? C’est à l’image de la vie : une quête sans fin de sens dans le chaos du monde. Mais le chaos l’emporte-t-il toujours, ou mieux ne vaut-il pas rire de ce qui nous échappera toujours ? Trouverez-vous alors un peu de vous, un peu de lumière dans ces pages richement illustrées et en forme de grands points d’interrogation ?
Obsküre : L’absurde est un prisme de l’art de la parole, rappelons-nous de Devos. Quelle relation entretiens-tu à l’absurde ? De quelle manière te permet-t-il d’appréhender l’existence ?
Patrice Verry : Une relation de plaisir. Elle sert de prisme. Je pèse ainsi les sens / l’essence de la vie.
Question comique ou tragique : l’art et la parole absurdes te font-ils relativiser la gravité du monde ou produisent-ils davantage l’effet inverse chez toi ?
Ils facilitent. Mais ne peuvent occulter l’effrayante facette de la bêtise. Du coup, je me plais à composer les récits avec des mots sérieux pour aborder des sujets communs ou classés en zone bis. Désactiver les procédés attendus. Gros challenge pour un hypothétique projet sur les W.C.
D’où naît l’idée d’Absurdo ? Collectionnes-tu les écrits sans fil directeur avant de penser les relier par le fil de l’absurde où Absurdo est-il depuis le début un projet d’ensemble ?
Un objet, un mot, un observation, une situation. À partir d’un fragment, surgit une histoire. Mais comment réunir autant de sujets épars ? Apparemment, on me cloisonne dans l’inclassable - un positionnement problématique. J’aimerais proposer aux libraires "la semaine des inclassables", où ils pourraient durant une quinzaine de jours dédier un emplacement éphémère à des livres hors-normes. Puis les livres voyageraient ainsi en faisant le tour de France… Mince, me revoilà dans une utopie. Libérez-moi !
Dans quel contexte écris-tu ? L’impulsion dicte-t-elle ta main, au débotté, ou t’astreins-tu des moments où tu te dédies à l’exercice, avec des plages horaires programmées ?
Je cultive l’écriture allongée. Au débotté, c’est honorer de petites folies. Des prises de notes exaltantes. Mûrir un texte requiert la dissection du sujet, atteindre le moment de grâce où la fluidité se manifeste, où l’évidence surgit. Entrer dans la capsule qui va nous détacher des instances quotidiennes me prend des heures. J’eusse aimé avoir le don de la facilité.
D’où vient l’idée de faire parler l’élu dans "Spermato" ? Es-tu dans la conscience, parfois, d’être le fruit d’un miracle ? Cela peut-il te rendre l’existence un peu plus belle ?
Rendons hommages aux élus ! Oui, c’est biologiquement miraculeux. Le cellulaire exerce une fascination sur mon appréhension des mondes. À la base, je voulais écrire une trilogie avec "Nombrillismo" et "Ecolonomico". Diriger notre regard dans une direction différente que notre nombril (ils sont en nombre) ouvre des perspectives signifiantes.
Quant à l'existence... Une existence plus belle ? Belle non, mais fascinante.
À lire "Bande de Pignoufs", la question se pose : faut-il revenir aux crachoirs ? Ton avis ?... Certains textes sont d'ailleurs drolatiques (Comme un Cheveu sur la Soupe). À quand le stand-up ?
Hahah, heureux d’avoir pu imaginer une esquisse de ton sourire. Parfois, je m’amuse dans la solitude (ré)créative. Cela suscite une réflexion : au moins je passe un moment ludique. En fait, lors de l’écriture, je désactive la brutalité vomissante du monde pour, le temps d’un récit, fouiller dans les interstices. Point question de camoufler, juste contrarier le schéma habituel et se pousser à la réflexion. Apprenons à méditer sur notre sort. Individuellement et soyons fou… en collectivité.
Il est dans tes textes, parfois, des projections un brin subliminales de ce que nous nous pourrions espérer pour le monde / pour nous-mêmes ("La Part des Anges"). Certaines ressemblent à des fulgurances. Les textes sont-ils le fruit parfois d’un jet unique ou es-tu de ceux qui travaillent, retravaillent un texte mille fois avant d’atteindre la forme qui te semble devoir être offerte aux regards ?
Une de mes compagnes se nomme insatisfaction. Je lance un premier jet déstructuré. Des bouts. Des idées. Lorsque le sujet nécessite des recherches (biologiques, cosmiques, anatomiques,…) je plonge dans les ouvrages dédiés. Ils me permettent d’appréhender des fonctionnements. Plus mes connaissances s’étoffent, plus le texte s’en nourrit. Mes recherches furent édifiantes pour "la banane asperme" - mais c’est imperceptible - la synthèse s’expose en quelques mots !
À partir de ce terreau, je tords la réalité sur nos angoisses. J’essaie de rendre compte de nos petitesses dans ce monde, ces mondes. J’applique souvent la première personne pour endosser la responsabilité des bêtises. Je peux aussi être au féminin. Ou un acarien, qui sait. Brouiller les pistes.
Dans "L’Oreille des Funérailles", l’écoulement du temps fait de nous les spectateurs d’évènements de moins en moins réjouissants et de plus en plus nombreux. Quelle relation entretiens-tu avec le temps ?
L’astronomie, science du peut-être mais aussi des certitudes. Je lis beaucoup, j’écoute des conférences. Je ne comprends strictement rien aux équations mais elles me fascinent. Le constat est fatal : on appréhende aujourd’hui seulement 5% de l’univers visible… quid de l’énergie sombre, la matière noire ? Un claquement de doigts et nous voilà passés à trépas. Byebye. Et dans quelques milliards d’années, la Terre n’existera plus, aucune trace. Comme si rien n’avait eu lieu. Le néant.
Mon rapport avec le temps, c’est un peu un positionnement dans l’échiquier vertigineux du cosmos où tout nait et tout meurt. Comme nous. Pourquoi, comment. Pour rien ?
On apprend, hébété dans les premières pages que l’un des auteurs de préfaces, Florent Gilloury, possède tros cents disques de The Cult. Mais ça ne va pas de fréquenter des gens comme ça ? (Tu peux me donner son adresse s’il te plaît ?) (J’irai chez lui avec des malles à roulettes.)
Si vous le souhaitez, je pourrai vous montrer le chemin. Mais mieux vaut venir en camionnette. Sachez que cet homme possède d’autres trésors. Effectivement, ce livre n’est, in fine, pas forcément fréquentable ! Fuyez ou il vous hantera à jamais !
De quelle façon as-tu géré l’interaction entre graphisme et textes (lorsque le graphisme est inséré au texte) ? Envoyais-tu des thématiques générales ou des textes finis ou semi-finis aux créateurs d’images pour qu’ils entrent en action ?
Pour changer des deux opus précédents, Miss Endorphine et Regards, il me semblait intéressant de proposer une séparation (quasi totale) entre textes et illustrations. Le procédé accroit le nombre de thèmes abordés et octroie aux artistes une liberté élargie. Laisser vivre les mots, sans forcément l’appui d’une image. Ainsi, j’envoyais aux artistes la thématique générale, avec en exergue mon ressenti sur l’absurde et une ébauche de sommaire synthétisant les sujets abordés. Ensuite, ma graphiste artiste, Anastassia Elias, a géré la mise en page de l’ensemble. Elle a le don du regard et du savoir. Elle opère pour épanouir les formes et les couleurs, laisser respirer le verbe. Son audace et sa créativité suscitent mon admiration.
Les leçons que l’on peut tirer de "Mastupration" et "Fureur utérine" sont nombreuses. Mais toi, Patrice Verry, n’aurais-tu pour crainte de t’être toi-même égaré en une trop grande dissipation de semence à travers Absurdo ?
J’ai tellement halluciné à la lecture du livre source, je devais m’en faire l’écho. Le plus difficile fut d’effectuer des choix parmi des pages de récits hallucinants (sans besoin de champignons, ni de plantes). Un certain nombre de recueils "moyenâgeux" recèlent de perles dramatiques… drolatiques en les retordant.
Il y a cette photo finale, dans le livre, prise le 27 janvier 2023. Ta maman n'est plus. La séparation, sa cruauté : une absurdité de la nature ?
Quand l’inimaginable te rattrape. Encore le temps. J’affectionne cette phrase de Houellebecq : "… L'éternité de l'enfance est une éternité brève, mais il ne le sait pas encore ; le paysage défile." Tout est dit. Enfin, presque !