Quand on sait les louanges qu'Obsküre a pu tresser des précédents opus de Pharmakon, alias la New-Yorkaise Margaret Chardiet, si l'on vous dit que son dernier bébé est une petite perle de noise industrielle, vous aurez une petite idée de la qualité de ce Devour, intransigeant et fait de chair et de tripes. Avec les années, les artistes ont souvent tendance à se calmer, mais ce n'est certainement pas le cas de notre chère Margaret, laquelle a souhaité enregistrer ce Devour dans des conditions live pour garder l'urgence des concerts. On pense bien sûr aux travaux les plus furieux de SPK, Throbbing Gristle et Whitehouse et tout le courant power electronics qu'ils ont initié. Les rythmes sont même plus identifiables ici qu'auparavant, offrant des pistes presque dansantes et menées par un chant démoniaque à souhait ("Homeostasis", "Self Regulating System"). On ne sait comment, mais l'Américaine arrive à redonner une immédiateté à un genre vieux de quarante ans. En même temps, depuis une douzaine d'années qu'elle sévit, Margaret a atteint une maîtrise indéniable dans ce domaine qu'elle a toujours mêlé à une approche intime et personnelle du monde.
Cette fois-ci, c'est le cannibalisme de soi qu'elle utilise comme allégorie de notre nature autodestructrice. La violence extérieure et l'insensibilité d'un monde que l'humain a lui-même créé oppresse les êtres jusqu'à les mener à une forme d'auto-dévoration. Elle a voulu elle-même dédier ce disque à ceux qui ont connu les cliniques, les asiles psychiatriques, les prisons ou les centres de désintoxication. Elle crache ainsi la folie du monde ("Spit it out") et la douleur du manque et de l'enfermement ("Deprivation").
La deuxième face se fait d'ailleurs plus lourde et souligne l'angoisse. Avec une électronique de plus en plus dense et une fureur infernale, Chardiet expie ses sentiments de dégoût en un rituel émotionnel exténuant et cathartique. Si vous avez aimé ses précédents Abandon (2013), Bestial Burden (2014) et Contact (2017), on sait que l'on prêche déjà à des convaincus. Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.