Von Magnet est un album qui aurait pu ne jamais voir le jour. Phil Von a laissé derrière lui un groupe nourri pendant trente ans, et ces dernières compositions, en forme de retour introspectif et libérateur, lui étaient sorties de la tête. Et puis, le moment est venu de donner corps et voix. La pochette illustre cette sortie des ténèbres de l'oubli. Une nouvelle fois, au-delà de l'histoire personnelle qui le lie à cet ensemble, Phil Von explique ce que sa vision et sa manière de composer ont de vital et de nécessaire. Passion, amis et recul aident à faire évoluer une pratique associant corps et esprit, raison et perte de soi. C'est magique.
Obsküre : Quel regard portes-tu sur ton parcours ? C'est bien de ça dont il s'agit avec "The Map of my Worlds" ?
Phil Von : Ce texte est le témoignage intime d’un homme qui revisite son existence à rebours. Il parle de tous ces chemins que l’on n’a pas pris et de ces inconnu(e)s, ces lieux, ces rivages aimants qui auraient pu peupler autrement une vie si les "pile ou face" avaient été inversés. En ce qui concerne mon parcours en tant qu’"artisan" du spectacle… je n’ai pas de regrets particuliers. J’ai essayé de servir le plus ardemment et fidèlement possible les différents projets que j’ai menés ainsi que ceux qui m’ont emmené. La passion fut toujours ma motivation première.
Donc, il ne s'agissait pas de Toi explicitement avec cette première personne du singulier. Pour tout te dire, j'avais été presque choqué de voir que tu avais choisi Von Magnet comme titre. Le vois-tu comme l'album ultime et par là, comme un dernier album ?
Cet album est très particulier… Rétrospectivement, il aurait pu – sous une forme différente – être l’album que Von Magnet aurait dû achever il y a plus de sept ans. Il s’agissait alors de revenir au plus près vers ma passion – ou dirons-nous, mon "obsession" – du flamenco et de ses rythmes… Et comme un signe, ce fut la rencontre à ce moment-là avec le guitariste de flamenco Dani Barba qui donna un sens à ce désir. J’avais écrit toutes les maquettes, j’avais convié Dani à jouer sur plusieurs morceaux et la tonalité majeure de l’album s’était précisée. J’avais alors bien sûr mis à contribution mes partenaires magnétiques, Def, Flore, Hugues Villette, Tit’o, Yana, pour enrichir les compositions… Un autre invité de marque, le violoncelliste Hugues Vincent, avait apporté une autre couleur harmonique. Puis, avec Def, nous avions mélangé les éléments acoustiques et électroniques et il avait longuement œuvré afin de préparer des pré-mixes dans son studio. Mais l’aventure Von Magnet arriva à sa fin et le projet de cet album fut abandonné.
Or, l’année dernière j’ai sorti ces compositions du tiroir, j’ai trouvé qu’elles avaient toujours une fraicheur et un souffle immanent, et cela même après toutes ces années. J’ai alors commencé à les retravailler, décidé d’enregistrer des voix. Puis mon amie Yana Maizel, qui joue du cajon sur le disque, a quitté ce monde… Une semaine plus tard c’est Algirdas Klova qui s’est en allé. Je me devais de mener cet album à terme. C’est mon hommage post-factum à des êtres aimants, à Von Magnet et à cet electro-flamenco qui fut notre marque de fabrique.
Sous le nom de Von Magnet, rien n'a été publié depuis Archipielagos, il y a déjà dix ans. Le temps passe-t-il si vite ? Meta Meat et d'autres projets ont-ils absorbé Von Magnet ?
Archipielagos restera légitimement le dernier disque de Von Magnet créé par un groupe tangible (Flore Magnet, Def, Tit’o, Hugues Villette, Lisa May, Séverine Krouch) en relation avec son travail scénique de l’époque. Von Magnet s’est éteint en 2015 après plus de trente ans d’activisme et de résistance. Ce fut douloureux, mais j’avoue que je n’étais plus en mesure de continuer à tirer le navire.
Le temps est précieux… Je suis happé d’un côté par ma vie de papa et de l’autre par tous les projets de spectacles vivants qui me sollicitent, à la fois pour la composition et les interventions dansées ou performatives. Les moments dédiés à l’écriture, au mixage ou à la production deviennent rares. Toutefois avec Somekilos et Meta Meat nous avons réussi, je pense, le pari du redouté "deuxième album" et j’ai également produit le dernier album d’Algirdas Klova, l’un des maitres de la musique folk en Lituanie (qui joue aussi sur l’album), ainsi que le disque avec le pianiste Rokas Zubovas, Eiti Ramyben. Et j'ai mes albums solo, Blind Ballet et Made Underclouds.
Que ressens-tu en voyant les photos de Svetlana Batura ?
J’aime cette idée de mouvement qui me correspond bien. Je ne suis pas vraiment à l’aise avec des poses figées qui me paraissent trop artificielles. Sa proposition de me photographier en action me permettait de me sentir libre et donc plus sincère.
Lorsque tu chantes et que tu enregistres tes pistes de voix, lorsque tu travailles tes lignes et que tu les composes, comment ton corps t'accompagne-t-il ?
Je suis probablement emporté par une intensité lors des enregistrements des voix, j’imagine que mes bras et mes mains fusent et s’emballent. Le reste du corps doit être maîtrisé afin de respecter la distance requise avec le micro.
Ce sont des moments d’un espace-temps privilégié. Je sais désormais qu’il ne sert à rien de tenter plus de trois prises, car alors le moment de vérité est déjà caduc… La "tête" s’immisce entre le corps et l’esprit et… il est déjà trop tard. Pour la composition, l’équation entre ces trois constantes est complètement différente puisqu’on a besoin de sa tête pour gérer aussi la technique et suivre le concept. À ce stade-là, on s’inquiète plutôt de la mise au ban de son esprit et de son corps… J’imagine que c’est notre intuition et les sensations d’écoute qui nous guident, afin de rester en contact et en harmonie avec l’organique et le spirituel.
L'album est encore une fois pensé comme un ensemble travaillé : as-tu des mots, des adjectifs ou des signes pour décrire le voyage que tu souhaites organiser ?
C’est Pedro Peñas Robles (NDLR : boss du label Unknown Pleasures Records) qui a suggéré l’ordre des morceaux et a donc imaginé ce voyage. Cela m’a permis de découvrir la vision du premier auditeur externe et d’apprécier ainsi son sentiment.
J’ai aimé cette idée de complicité avec le label, processus qui a aussi eu lieu avec la conception de la pochette. Trois labels avaient préalablement refusé le disque après écoute de mes démos – trop de chant, trop "gothique" (???), trop flamenco... – et c'est Pedro avec UPR qui s'est enthousiasmé et m'a donné l'élan dont j'avais besoin pour nous embarquer ensemble La première partie du disque me semble plus "romanesque" suivant la dramaturgie des textes, alors que la deuxième s’évade vers des rivages plus nuancés ou éclectiques.
Comment l'expérience des albums passés te sert-elle lorsque tu te sens prêt à composer un nouvel album ?
Ce disque est bien entendu très particulier, du fait de son histoire. Il bénéficie de tout le temps écoulé, de l’étape posée par les prémixes réalisés avec et grâce à Def. Ce recul m’a autorisé une réelle mise en abime afin de comprendre les pièces et d’essayer de trouver – après toutes ces années – la justesse, l’équilibre et l’authenticité.
Sinon en règle générale, afin de répondre à ta question, je dirais que tout au long de ma vie, j’ai essayé d’épurer, de lutter contre ma tendance au maximalisme. J’ai l’impression désormais de mieux me rapprocher de l’essentiel et de savoir sculpter plus radicalement les compositions. Norscq m’a aussi beaucoup appris dans cette quête : le regarder travailler m'a donné des clefs pour enfin me risquer vers les arcanes de la production. Et mon maître Ken Thomas reste toujours présent, comme un petit murmure… Il lui fallait fermer les yeux afin de visualiser une bande image. Seulement alors était-il en capacité de pouvoir mixer un morceau.
L'écrin noir est très beau. Cette teinte est souvent revenue dans tes travaux, y vois-tu un symbolisme particulier ?
Peut-être faut-il embrasser un océan de noir afin de vraiment apercevoir et apprécier un petit faisceau de lumière.