C'est émouvant de se retrouver avec ce magnifique objet hexagonal concocté par UPR pour célébrer la sortie de cet album. Emouvant parce que l'objet est beau, par ses photos et ses textes ; pensés pour que les unes se superposent au sens des autres. Emouvant aussi parce que le nom choisi et le titre augurent d'une sorte de boucle. C'est Phil Von qui nomme son disque du nom de son groupe. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce la quintessence des quarante ans passés à questionner la musique et la performance ? Le doute n'était pas de mise avec la précédente sortie (Made Underclouds en 2019) ou le split l'unissant à Rokas Zubovas.
Une fois le CD mis en route, les questions s'évanouissent et on n'attend plus forcément de réponses, même si je sais qu'en parallèle, je monte une interview du grand Monsieur et que des questions, j'en ai... C'est une nouvelle fois toute une équipe qui est conviée à la participation de ces créations, des habitués (Flore Magnet, Tit'o, Norscq, Hugues Villette, Def...) et des nouveaux venus.
Les compositions construisent un album plus qu'une suite de morceaux. Ces derniers temps, Phil avait également mixé des titres découverts durant ses voyages pour en assurer une visibilité et susciter des échanges. Sur Von Magnet, les pistes lancent un climat, un contexte avec tout d'abord la guitare flamenco. Puis, avec l'irruption de la voix et des percussions, les harmoniques méditerranéennes, on bascule dans une première étape : celle devenue classique chez lui de l'oasis poétique. Entendre ce prophète humble évoquer ce qu'est un parcours de vie incite à la clairvoyance.
La mise en place des pistes sert un projet : il ne s'agit pas de faire du traditionnel ou de l'exotique, mais de créer une musique mixte, moderne et respectueuse du passé, un pont entre différentes formes, de l'évocation et de la narration, de la poésie et du récit. C'est une musique éminemment artistique dans le sens où elle pose un regard, interpelle et relie la voix du chanteur à ses comparses et aux auditeurs. Située hors du temps et des lieux ("Let Me dive"), elle gagne une puissance évocatrice en mesurant le risque d'être une musique inclassable.
La deuxième étape se forme avec parcimonie, suggérant les rythmiques synthétiques, les dissimulant et jouant avec l'énergie tout en retenant ses impulsions dans le registre de la tendresse nostalgique ("The Map of my Worlds", fortement touchant). Progressivement l'album gagne en puissance et le démarrage d'"Envol" renvoie aux très belles heures de Mezclador (1997) et El Planeta (2000). C'est ensuite un beau moment d'introspection qui prend le relais, avec la paire "Antecamara" / "Physalide". On est alors au plus près des émotions et de la manière dont tantôt la musique, tantôt la voix assure chacune une perte de contrôle et nous tourne vers le ressenti pur. Pour apprécier totalement ce disque, il suffit de fermer les yeux ou de les ouvrir sur le monde, en silence, épaulé par la musique. Scènes de rue sous le soleil écrasant de ce mois d'août ou même lever du jour dans la fraîcheur du Piémont : tout se prête à une ouverture (ah : le violon d'Algirdas Klova !).
Pour nous ramener vers notre monde, Phil Von place ensuite plus de jeux : voix théâtrale ("Golpe de Gracia"), rythmes plus surprenants, tournure davantage ludique de la construction de "Diluvio", un titre porté par l'esprit de la danse contemporaine. Enfin, pour clore cet exposé des possibles, "Whispered Future" est un titre plus conventionnel, porté par des nappes de cordes cinématographiques et des combats épiques entre les instruments. L'imbrication des notes et effets pose pleinement le postulat d'un groupe ressuscité et prêt à en découdre.
Comme si tout ne faisait que commencer ?