Suite à ma chronique de l’album Made Underclouds [parue sur notre ancienne plateforme www.obskuremag.net], l'envie a été forte d'entendre ce que Phil Von avait à partager sur cette expérience. Le chanteur danseur de Von Magnet s'est mis à l'écoute des circassiens et ces titres réunis élaborent des pistes nouvelles. En parallèle, ses projets l'emmènent dans des lieux et des salles qui reflètent les mutations profondes de la rencontre avec le public.
Obsküre : Depuis quelques années, tu as participé à de nombreux projets. Von Magnet a été en quelque sorte une ouverture constante aux autres, que ce soit leurs musiques ou leurs façons de travailler. Avec Underclouds, c'est une rencontre où toi seul propose de la musique puisque eux sont circassiens. Quelle différence intime cela occasionne-t-il ? Se confronter à un échange qui est visuel et ancré dans l'espace et le temps quand toi tu proposes du son...
Phil Von : C’est plus compliqué que cela. Il y a tout d’abord l’amitié profonde qui nous unit. Cela induit ma perception de leurs goûts musicaux. J’imagine ce qu’ils aimeraient entendre et ce qui pourra les inspirer et nourrir leurs mouvements. Nous avons des références communes, cinématographiques le plus souvent… et leurs mots que j’essaie de mettre en son – par exemple, Mathieu me dit "onirique", Chloé me parle de "poésie Sur-réaliste", Diane de "légèreté". Ensuite il y a le concept de leur spectacle et ma mission de répondre à une écriture concrète, scène par scène. En général lorsque je compose, je sais déjà quelle pièce sera plutôt destinée à Meta Meat, à Underclouds, à Okarukas… il y a des empreintes et des incidences qui guident mon travail vers tel ou tel univers. Et puis lorsque l’on est tous “au plateau”, mes partenaires en recherche, avec leurs agrès ou leur théâtralité, je joue en vrac différentes ambiances afin de les accompagner, très vite je perçois laquelle sera l’élue… une vibration juste, une phase se crée alors entre l’espace-temps physique et sonore… il ne reste plus qu’à structurer avec, mettre en scène la musique afin qu’elle soit comme un costume fait sur mesure… et si cette osmose n’est pas là, alors c’est plus compliqué. Il faut changer de piste de recherche, de registre, reposer plein de questions aux membres de la compagnie pour comprendre ce qu'ils imaginent... ou passer plusieurs nuits blanches dans l’espoir d’une illumination.
Les spectacles d'Underclouds sont fortement liés à un ici et maintenant, celui du temps de la performance. Un disque, c'est le choix laissé à l'auditeur d'écouter où il veut et quand il veut. En quoi cette singularité a-t-elle été source de réflexions entre Chloé, Mathieu et toi ?
Pour le deuxième CD Funambus, j’ai cédé à l’envie de Mathieu et de Chloé de mettre la totalité de la musique - toutefois “augmentée” ici encore avec le nouveau mixage - du spectacle sur le disque. La Compagnie souhaite proposer au public de garder la trace sonore de l’ensemble de la B.O du spectacle. Pour le CD Made Underclouds, j’ai joué le rôle d’éditeur en choisissant les pièces qui me paraissaient les plus adaptées à une écoute pure, indépendamment de la dramaturgie des deux spectacles. À mon avis, certaines des scènes sonores qui palpitent avec l’espace-temps du spectacle restent anecdotiques et peu cohérentes pour un auditeur. En me mettant cette fois à la place de cet auditeur "non spectateur", j’ai pris la liberté de redécouvrir et remodeler pour lui les pièces, changeant la plupart des structures, modifiant les orchestrations… La musique ici est désormais – hors spectacle – libre pour chacun de toute interprétation de leur imaginaire… C’était pour moi la condition sine qua non afin que cet album devienne un nouvel album solo à part entière.
Et à toi, qu'apporte le travail sur ces modifications ?
Le temps faisant son œuvre, j’ai pris du recul et de la distance. Lorsque l’on livre une musique de spectacle dans le temps d’une deadline, on n’a pas le loisir d’éprouver toute la palette possible d’une composition ainsi que sa résistance au temps. En la déplaçant hors contexte, je la pousse hors retranchements, je la rends en quelque sorte à elle-même et à son identité intrinsèque.
Après tant d'années, tu travailles encore avec Norscq. En quoi son approche estelle évidente pour la finalisation de ton travail ?
Avec Norscq, nous n’avons plus besoin de mots. Il me connaît par cœur et la confiance que nous partageons est la source même de cette relation à la fois humaine et artistique. Toutefois, c’est le tout premier album que je mixe seul… donc un challenge. Techniquement, j’ai pris de l’assurance et j’imagine que d’avoir regardé Norscq travailler m’a beaucoup appris. Avant chaque projet d’album, lorsque j’estime être "prêt", ma première mission est de lui envoyer mes maquettes et d’attendre son retour. Je sais qu’il sera juste et me dira en toute honnêteté ce qui ne va pas, il saura aussi me guider afin d'aller vers "la substantifique moelle". Cette fois je lui ai demandé s'il jugeait que j’étais capable de mixer cet album seul ou si nous devions le faire ensemble. Il m’a encouragé à me faire confiance. Son mastering a sublimé le disque.
Entre l'univers d'Underclouds et les rendez-vous Meta Meat au Wave Gotik Treffen, la ligne est assez tendue. Quel regard portes-tu sur la diffusion de ces musiques ? Comment rencontre-t-on aujourd'hui un public ? Comment adresse-ton une musique exigeante, en ce sens où elle défie les caricatures ?
Je reste très dubitatif et déçu quant au contexte des concerts. Parfois l’on donne tant en live… La vulgarisation des évènements et la perception de certains publics paraissent à mille lieux de notre investissement profond. WGT fût pour moi une des plus mauvaises expériences avec Von Magnet. J’ai eu l’impression d’être à l’usine, un nom noyé dans une multitude d'autres listés sur une affiche. Aucun soin, aucune attention, juste "au suivant"… J’ai souvent ressenti tant de vide après avoir mis tant de ma vie émotionnelle sur scène... Ma quête d’authenticité et de sincérité reste toujours intacte, mais elle trouve peu d’écho dans le monde de la musique. Je préfère les scènes de théâtre où l’exigence prime : on peut y créer un vrai rituel, y retrouver le sens du sacré et toucher une écoute du public. Le théâtre de rue, quant à lui, du fait de sa gratuité, nous emmène vers tous les publics et cela permet de confronter son travail à des gens tout simplement, des non-spécialistes, qui n’appartiennent pas à des tribus spécifiquement formatées pour tel type de musique ou de chapelle artistique. Leurs commentaires post-spectacles sont parfois les plus beaux messages, ceux qui nous donnent l’espoir et la foi de persévérer.