Phurpa est le vecteur depuis le début des années deux mille de la musique rituelle Bön, antique tradition chamaniste tibétaine pré-bouddhiste. Phurpa (nom d’une divinité de ce panthéon) c’est le Bön, et le Bön c’est Phurpa !
Alexey Tegin, le leader, ancien vagabond de l’indus et lecteur de Castaneda, a su restaurer cet art séculaire et le faire découvrir au public occidental sans le dénaturer. Les concerts de la formation moscovite s’apparentent à de véritables messes noires, une célébration des forces telluriques qui passe par un chant de gorge profond et quelques instruments traditionnels. Une vibration cosmique est à l’œuvre au sein de cette obscurité mystique, nous faisant passer d’un état à un autre dans une réalité modifiée… Hymns Of Gyer est la dernière des nombreuses productions de Phurpa, groupe de la scène expérimentale décidément très actif, bénéficiant de l’appui d’un autre encapuchonné : Stephen O’Malley (Sunn O)))).
L’album s’écoute comme une suite, avec deux parties particulièrement longues ("01[3]" et "01.3"). La recette est connue : chant diphonique envoûtant, sombre et tenace ; une succession de psalmodies obsédantes et graves (cela rappelle, en plus dark, David Hykes). Les trois musiciens nous mènent aux confins de la conscience. Nous perdons nos repères, nos sens s’évanouissent dans ce monde sonore souterrain, porté par les secousses harmoniques de ces incantations méditatives viscérales. Les variations sont infimes et constantes, la démarche est hypnotique, l’auditeur est entraîné dans une transe démoniaque vers un purgatoire morbide décoré d’ossements humains où l’on entendrait les hurlements lointains d’âmes en peine… Quelques tintements fugaces de bols chantants nous extirpent de cette torpeur, mais les voix gutturales reprennent rapidement le dessus nous obligeant à rentrer encore plus en nous-même. Ce sabbat dure quarante-cinq minutes et il est fortement recommandé de lire le Bardo Thödol en même temps pour pleinement l’apprécier !