Catherine Watine développe son univers bien à elle, année après année, disque après disque, depuis plus de quinze ans. C'est une œuvre bien assise. L'évolution de sa vie personnelle – son intimité parfois – s'invite dans ses textes et ses décisions artistiques. C'est une musique qui vieillit en même temps qu'elle, en même temps que nous qui la suivons, une musique qui fige des instants et un rapport au monde et aux autres. En cela, l'outil réseau social est pris par Catherine comme une vitrine et un espace d'échanges réel sur la fabrique en creux de ses albums. Lucide et partageuse, l'œuvre de Catherine prend source aussi dans cette mise à nu, cet autoportrait par mots et images. On n'est pas loin des réflexions de la Nouvelle Vague sur les lieux et temps de création, sur la transposition en objets (une édition de cent vinyles numérotés et vernis à la main, avec fanzine, est en précommande) et sur les traces, les repentirs qui s'effacent ordinairement.
Cette fois-ci, Watine mue sans non plus se transformer.
C'est sous le nom de Phôs qu'elle s'invite chez nous, en s'associant avec Intratextures. Elle a écrit ses textes sur les bande-sons composées par ledit et mystérieux Intratextures, ce qui sert au mieux sa déclamation (sauf "Mensonges des Sentiments", texte qui existait au préalable, nous confie-t-elle). On a un soupçon de Portishead sur "L'As est tombé sous la Pancarte". La cold wave nimbe "Dans la Brume". Les guitares, soignées, sont placées en retrait mais suggèrent - autant que la voix récitante - des émotions qu'on ne peut que toucher maladroitement. Les mots, forts, résonnent, prennent leur double sens, jouent des rimes et des ellipses narratives, cumulent les punchlines* comme dans tout bon poème en prose ou en vers, se grisent de leur propres sonorités et significations. Ailleurs, on se rapproche de René Char ou de l'écriture automatique, sans que cette variété ne lasse. La voix est même traitée mécaniquement, raclée par les effets et l'utilisation de l'anglais, progressivement concassée sur un mode kraut rock ("Doorway") avec une touche psychédélique. La voix marque son âge, émouvante sur "Les Orpailleurs", proche du Daniel Darc poète de "Elégie #2".
Hors des modes et du temps présent, loin du sinistre vieillissement au moment où l'on reçoit ses dix nouvelles compositions, ce qui s'affirme ici, c'est que l'art se vit comme un refuge, un jeu de ping-pong avec soi, en solitaire. Cette fois-ci, magnifiés par le passage en musique, on a les échos donnés aux travaux antérieurs : ce piano qui surgit, vague de fond toujours présente et remuante. Les rythmiques viennent par à-coups, évitant ainsi que la diction se cale sur un tempo. Le jeu de ping-pong accueille alors les notes et arrangements de l'autre qui font surgir et amplifient ; ainsi le final post-rock noisy-pop de "L'Horizon est restreint" marque un sommet instrumental. Les sonorités ne cherchent pas la facilité (là encore, on rejoint le Portishead de 3). C'est cette liberté de ton donnée à l'un et l'autre qui façonne un véritable duo. L'irruption des invités, les noms des autres artistes, crée un banquet à l'heure des bombardements ("Sur le Crin des Archets"). On peut tendre un pont avec Marie Möör qui avait pris les mêmes risques au moment de Rose Et Noir, chantant elle aussi ses références sur "C'est ma Force". C'est élégant et racé, en retenue et sans pathos - en un mot, vrai.
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* "Amours volatiles, pour une histoire de fesses, fais ce qu'il me plaît" / "Allons enfants de la fratrie, j'ai fait le tri, j'attends l'accalmie" / "Schizo, je freine, j'ai perdu les rênes, ce cheval qui prend l'eau et la peur du galop"