Troy Pierce, artisan minimal techno, et l’artiste visuelle colombienne Natalia Escobar (alias Poison Arrow) forment Pierce With Arrow. Leur premier essai commun est présenté comme une "odyssée noire à combustion lente", inspirée du mythe grec d'Echo et Narcisse. Leur première manifestation : un single nommé "For Electra", fin septembre 2020. Il annonçait sérieusement la couleur, mais ce n'était que le début. L'album ne le conte pas au menu.
Shatter enchaîne les unes aux autres des perles immersives, frappées du sceau d’un froid minimalisme. Economie de couches et machinisme, espace ouvert aux autres et un résultat cinématographique : il s’est manifesté il y a quelques mois par la vidéo réalisée pour "She pined away", film mystérieux et aux progressions nourries par le feeling oppressif d’une musique electro nourrie au biberon du dub industriel. Les échos sur la voix, le beat sourd. Un exercice de style, dégagé des contingences mais ambitieux de stylisation : Pierce With Arrow ne se laisse pas encapsuler par une étiquette, mais sa froide sensualité electro a un pouvoir. Design sonore transpirant d'une impossibilité du sentiment, de l’incapacité à aimer, étranglement de ces passions sans issue. Echo se lamente.
Pourtant cette musique, autrement dit ce qui vient à nous aujourd'hui, n'était pas l'objet. Elle résulte d'autre chose, et Shatter est comme un accident. Dans cette histoire à deux, tout partait en réalité de l’image, du support film : la collaboration entre Pierce et Escobar trouve ses racines dans un objectif visuel. Les deux protagonistes principaux avaient en vue de concrétiser une ambition filmique, et la musique en a découlé. Il y a en elle une dimension osmotique, que l’on retrouve dans la pureté de la boucle ("In the Depths of his Eyes")
C’est comme un ensorcellement, insidieux. Shatter, splendeur des musiques ambiantes, ghost music ("The Night is ending", présences en fuite). La participation des invités s’inscrit dans une dynamique d’ensemble, ils ne perturberont pas le jeu. Sur "Obsidian Glass", les apports du visionnaire techno Konrad Black concourent à la création d’un paysage hypnotique et glaçant. C’est pénétrant, abstrait. Sur "It’s a Love Story, after all", l’invitation faite à dBridge débouche sur un sound design trouble, dark ambient aux éclats sonores épars et qui dégradent la texture de ce qui ressemble à une frappe de piano. Couloirs d’ambiance, de nuit, de solitude. La puissance est rentrée sur tout un ensemble qui se conclut par un "Narcissus" texturé et résonant d’un beat minimal et sourd. Shatter : plus qu’une collection de morceaux, une tentative de design sonore cohérente et raffinée, au givre évocateur dont les reflets gardent en même temps quelque chose d’hermétique. L’intériorité, dans l’armure du son. Un abandon.
