Quiconque a pu voir sur scène les Allemands Pink Turns Blue (Mic Jogwer [chant, guitares, gardien du Temple] & co. : Ruebi Walter [basse, claviers] + Paul Richter [batterie]) en rapporte un souvenir qui marque. Le groupe fondé au milieu des années 1980 aime la scène, et les derniers mois n’ont pas dû être les plus évidents à vivre… quoique se constate aujourd’hui une énergie conservée et mise au service du futur. Tainted, dont les premiers extraits ont été dévoilés au fil de l’année 2021, restera sans doute le disque de cette survivance, mais aussi et de manière au moins aussi importante, la preuve supplémentaire d’une maturité de style et d’un supplément de force et d’inspiration par rapport à la plus récente période de production. Nous nous risquerions presque à dire de Tainted qu’il approche les cimes émotionnelles de Phoenix (2005), sans toutefois renouer avec la dimension brute du son de ce dernier. À la qualité intrinsèque des écritures 2005, le cœur accorde encore une exclusivité. C'est comme ça.
Mais la force du souvenir n’empêche pas d’entendre : en 2021, Pink Turns Blue est plus qu’en verve. Ses mélodies économes, son spleen et son énergie rentrée tiennent leurs offices. Aucun déchet : constat suffisamment rare pour mériter d’être partagé. Tainted est un disque d’une densité émotionnelle certaine, et sa collection de mélodies en prise avec l’état du monde. Le dérèglement climatique et ses conséquences, notamment – ce face à quoi Jogwer peste en réaction à ce qui attend les générations futures : "nous n'incorporons pas la durabilité dans nos actions, tous y perdront", dit-il, probablement visionnaire. Les appétits de l’Homme portent semble-t-il cette magie de le rendre sourd à tout. Le Principe Responsabilité, écrit par le penseur allemand Hans Jonas, est sorti en 1979.
Le cru Pink Turns Blue 2021 incorpore aussi des mixtures intimes et plus centrées sur l’individu (la recherche de l’amour sur "I’ll never give up"). Sa complétude d’intention pourrait alors le faire rester parmi les plus fortes collections concoctées par le combo berlinois depuis 2005, et un cran très en-dessus, en tout état de cause, de The AERDT – Untold Stories (2016). Le son reste aujourd’hui dans une ambition de minimalisme et de chair mêlés, tonalité donnée d’entrée de jeu par l’élancé "Not even trying" : le groupe ménage son impétuosité et campera sur certaines bases, même lorsqu’il épaissit sa sauce ("I’m gonna hold you"). Idées d’un raffinement, d’une "essentialité", école minimaliste mais dont l’énergie contamine et vous emporte ("So why not save the World"). L'effet est addictif et les voix maîtrisées de Jogwer, à qui l'on doit l'ensemble des compositions, impriment tout l’album. Elles posent les mots sur le manque ("You still mean too much to me"), tandis que le groupe coule un discret vernis synthétique sur des armatures éminemment organiques.
La réputation de ce son se rapporte aujourd’hui encore au gothique émergent des 80’s (en 1992, leur [mitigé] Perfect Sex fut produit par Dave Allen, qui œuvra entre autres pour Sisters Of Mercy, ce qui pose un décor en même temps que fige la fin d’une époque où le groupe, relocalisé un temps à Londres, sent qu’il se perd), mais les guitares de PTB restent en 2021 dans une pertinence de la délicatesse. Plus travaillées de l’intérieur que démonstratives, en somme plus Chameleons que Sisters. Dentelle. Et si dans la sobriété se trouve toujours une part de vérité, alors vous aurez peut-être trouvé ce qui, aujourd’hui, fait la force et le feu intérieurs de Pink Turns Blue.
