Pas facile de rendre compte du projet Putan Club. Un disque sort, Filles d'Octobre, et c'est une base sur laquelle on peut placer des mots pour vous dire d'aller les voir.
Dans ce projet, on retrouve le Français François R. Cambuzat (combo L'Enfance Rouge, les spécialistes connaissent) et l'Italienne Gianna Greco (Ifriqiyya Electrique). Putan Club n'est pas un simple groupe de rock, mais une formation musicale qui attaque en concert. Leur ligne de conduite artistique, c'est de piocher dans ce qu'ils veulent, de se laisser guider par le groove et l'énergie. On a donc des compositions qui, comme la musique funk, sont solides sur le riff et la manière de tourner, relancer, partir en jam et s'élever, virevolter ("Galoo Sahara Lleet el Aeed").
Les orchestrations en revanche, font toute une différence puisque le duo s'aide de bandes, de samples, que ses guitares sont parfois franchement noise et raclent le sol. Les parties percussives sont syncopées, cassantes, tapageuses, voire industrielles au sens où Neubauten définit musicalement ce terme polymorphe. Les chants se font cris, s'éloignent du micro selon le déroulé de la performance. On retrouve parfois ce goût de la harangue qui fit les riches heures des années 1980 (comme sur "Filles de Mai" qui m'évoque à-GRUMH...).
On sent une performance qui se positionne en direct, s'informe de son public et qui se construit progressivement, dans les possibles de chaque titre, mais aussi de titre en titre. C'est mouvant et donc, paradoxalement fuyant lorsqu'on ne fait qu'écouter : "Filippino" pâtit ainsi de cette tension et de ce jeu qu'on ne peut qu'imaginer. Le solo progressif psychologique de "Jadransko More" ne donne pas non plus les effluves de sueur qu'il a dû soulever et les cheveux trempés du public. Le long final de "Filles de Mai" (on est sur un disque double) semble aussi long quand on est dans l'écoute et pas la consommation d'un fond musical dans son salon... Il manque le trip. Mais on sait que c'était là, au cœur de ce concert donné sur deux dates en octobre 2022 à Porto pour le festival Amplifest.
Eux-mêmes citent Guy Debord et le situationnisme, préfèrent jouer dans le public plutôt que sur le plateau. François, parmi toutes ses aventures humaines, a également travaillé dans La Machine Rouge avec Denis Lavant. On en tire une attention aux textes, un côté narquois qui surgit, une volonté de démanger et de gratter. Je retrouve chez eux les fenêtres ouvertes par des projets des années 1980 comme Nox ou Hems. Un même souci de la ritualisation, de l'engagement pour faire naître une transe hargneuse et non pas confortable ("Arrah Arrah").
Des guerriers avec le sourire que conservent ceux qui se battent contre des géants. Avec Gianna, ils forment un duo subversif, proche des grands duos du monde du rock (The Cramps, Fontaine et Areski) avec cette capacité à ne pas être où on les attend : refus de la facilité, de la propreté du son. L'âpreté du son temporise le foisonnement des partitions et la musique, seule guide, prend de la techno, des pointes world, de la fusion, du garage, de la poésie sonore (ils ont joué avec Lydia Lunch pour Don't Pressure The Man With Tthe Knife), de la furie (final de "Boğaziçi" qui me ramène au Portobello Bones de la période Horma).
De ce postulat, il reste un double album live qu'ils disent en "édition limitée" (trois mille exemplaires physique pour un tel format, c'est aujourd'hui plus que raisonnable) et une nouvelle tournée. Les salles sont petites, mais la profusion des dates et l'exportation de ces spectacles sur tous les continents permettent une visibilité certes à petite échelle en jauge, mais imparable si on veut les voir.
Pour mieux placer les choses : les Limiñanas offrent des compositions répétitives, mais lissées, belles, à partager, qui ne changeront pas vos lendemains, malgré tout ce qu'on peut y trouver de bien ; Putan Club servent des claques, méchantes mais entraînantes et souhaitent changer votre présent en modifiant votre perception de ce que doit être la musique.
L'engagement politique à l'extrême-gauche se devine, par les visuels, les rares slogans, le final de "Filles de Mai" (le titre est un manifeste de soutien aux révoltes vues du côté féminin) mais n'a pas trouvé sur ce disque la place à laquelle il prétend.