Daemonum est le nouveau corps de climats signé du suédois et visionnaire Peter Andersson : un adepte de Jung et activiste sonore dont Raison d’Être, de tout temps, reste le fer de lance. Anciennement hébergé par Cold Meat Industry, ce projet atteint sa trentaine d’années au compteur et a marqué d’une empreinte décisive le paysage des musiques dark ambient : Andersson a effectivement tissé un lien d’affect puissant avec son auditoire au fil de ses nombreuses – et méticuleuses – sorties.
Le cru 2021, qui précède une nouvelle campagne de rééditions (double-CD prévus pour fin 2021 pour The Stains Of The Embodied Sacrifice, The Empty Hollow Unfolds, et In Sadness, Silence And Solitude), se donne pour ambition de saisir "les archétypes anima/animus et leur manifestation en tant qu’image de l’âme" (vous souvenez-vous de l’album des Creatures de Siouxsie et Budgie paru en 1999 ?). Daemonum, en tout état de cause, s’affiche comme le volume I et principal d’une expérience immersive en comptant deux. Cyclic Law, toujours soucieux de la forme, publie l’album en divers formats, dont un double CD / triple LP intégral comprenant l’album miroir et complémentaire Daemoniacum.
Dès le premier morceau du volume I, "The implacable Portal", tout l’univers d’Andersson se rouvre : chants de moines, arcs sonores immenses, carillons… Voici concentrés les esthétiques et marqueurs d'un style qui, depuis le début, provoquent ce sentiment mêlé d’intériorité et de spatialité… Un Raison d’Être en pleine splendeur, plus évocateur que jamais ("Inside the Enantiodromia") à défaut de renouveler l’exercice de style.
Mais il y a une puissance évocatoire, incontestablement. Ce premier volume, dans sa cinématographie, porte la voix du subconscient et révèle notre potentiel caché. Une manière de prolonger en cohérence l’expérience Alchymeia de 2018. Les noirceurs se maximalisent sur la phase finale "Daemonium", dont le crescendo apocalyptique précède une lente outro guidée par les ponctuations d’un piano funèbre.
Le second volume n’est pas en reste. Les structures de Daemoniacum, néanmoins, sont plus concises : là où Daemonum privilégie un étirement spatial (la majorité des six structures s’y déploie sur onze à seize minutes), le disque miroir concentre sa noirceur sur trente-cinq minutes, tout aussi typé et immersif. Quoique moins démonstratif dans sa forme générale, il s’avère sensiblement plus inquiétant en tonalité. Le sens des lamentations : une force à l’œuvre ? Voix du démon ? L’emprise est la suggestion principale du volume II. Les couloirs de vent et tintements typiques du son Raison d’Être prolongent ici une expérience sensorielle hallucinatoire ("The reclining Gate", "Extrication from the eternal Certitude"), et vous font dériver vers le sentiment d’une dépossession ("The Convergence of our Strengths"). Il se passe quelque chose d’anormal. Quelque chose qui vous gagne. Que vous n’aviez pas prévu, pas imaginé, pas voulu voir peut-être.