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Album
02/05/2022

Rammstein

Zeit

Label : Universal
Genre : electro-metal / Neue Deutsche Härte
Date de sortie : 2022/04/29
Note : 65%
Posté par : Emmanuël Hennequin

Till Lindemann. Sa carrure de Thanos, sa voix de stentor... Frank Sinatra à côté, c’est Farinelli. Rammstein, sa réputation jamais démentie (sur la forme) : riffs de plomb, plomb de la frappe, vernis technologique (le magicien Christian "Flake" Lorenz, encore et toujours) ; et sur le fond, ce sempiternel deuxième voire troisième degré qui encourage les vierges effarouchées à les limiter à de vulgaires pornographes prométhéesques. Comme les gens y vont.

Que voulez-vous, Rammstein reste toujours Rammstein. Chaque nouvel album est prétexte à nouvelle tournée et si l’unanimité n’est plus systématique depuis Reise Reise (Mutter, derniers lauriers, 2001), R+ est resté ce gang dont les méfaits font la une. Attendus, ils le sont toujours. Simple et bonne raison : le monde sait qu’il y retrouvera la part de gimmicks, d’humour qui fait jaser et cette énergie dont les formes les plus typiques, radicales, datent du triptyque originel. Headbanguer, c’est danser. Les splendeurs s’ancrent dans le souvenir mais quand même, il avait eu du nez David Lynch.

Zeit ne change pas grand-chose à la donne : R+ nous ouvre une fois de plus les portes de la récré. Voici notre bon gros bonbon au poivre, celui qui fera de notre été une parade militaire fun. Recette allemande : guitares hachées menu, rythmiques guerrières, vous connaissez déjà tout ça par cœur et Rammstein reste lui-même en 2022. Implacables habitudes, quoique le groupe s’offre – comme souvent – quelque fantaisie : vents de fanfare, auto-tune. Nous y reviendrons. Et puis il y a cette thématique affichée en frontal : le temps, dont notre rapport a été éprouvé par la crise de la COVID-19. Ce temps, le groupe l’a mis à profit pour accoucher de Zeit, plutôt que de le laisser filer comme il a pris l’habitude de le faire depuis 2005. Trois albums sortis pour R+ depuis 2009, dont ce cru 2022 occasionné par la pandémie et la paralysie de l’activité live. Le groupe a consacré à Zeit quelques mois, à cheval sur 2020 et 2021. C’était à Saint-Rémy-de-Provence, à La Fabrique, avec Olsen Involtini. Comme pour le cru homonyme de 2019.

Les premières images teasant Zeit ont d’abord semé le trouble. C’était le clip réalisé pour le titre éponyme, où le groupe vous rappelait quelque loi d’airain. Le sablier, c’est la faux. Extrait : "Nach uns wird es vorher geben / Aus der Jugend wird schon Not" ("Après nous, il y aura un avant / Et la jeunesse se transforme en épreuve"). 

Rammstein a voulu amuser davantage ensuite avec "Zick Zack" : une plaisanterie qui faisait grincer les dents, à travers une parodie de l’usure du spectacle. Personne ne veut mourir et tous jouirons jusqu’au bout… à condition d’y croire. Après tout le pathétique, tant que ça reste entre gens consentants…

Dès le début on l’a donc senti : en 2022, R+ jouerait sur plusieurs tableaux et Zeit serait tout sauf une expérience linéaire. Rammstein virevolte mais réussit-il toujours ? Pas certain. Car si s’amuser compte, le tout n’est pas là. Dans le secteur du spectacle, encore faut-il amuser les autres. Certaines tentatives, si fun soient-elles ici, s’échouent sur, pardonnez l’effet, le récif du mauvais goût. Que Lindemann ait pris le large avec Zaz est une chose ("Le Jardin des Larmes", bon, voilà, pourquoi pas, ce n’était pas spécialement de mauvais goût d’ailleurs), mais que la production tire R+ vers les artifices marqueurs de la Madonna fin de carrière ou de Jul (vous pardonnerez la provoc) pourrait se comprendre si seulement nous en cernions la plus-value, l’utilité. En résumé, nous guettons ici la justification de l’auto-tune, invention dont nous recherchons sans relâche l’inventeur (allez les chiens, allez allez) pour la lui faire avaler à l’huile de vidange avant de statuer sur des sanctions supplémentaires et si possible fatales. À notre goût, la musicalité de "Lügen", pleine d’assurance et de gravité, pâtit assez fort dudit traitement. Rammstein prouverait-il par l’épreuve la vacuité du procédé ? Nous ne serions pas loin de considérer que puisqu’ils calculent, ils l’ont fait exprès cete bande de gros coquins. Prenons-en acte. Après tout, Coluche ne poussait-il pas un peu mémé dans les orties quand ça le prenait, lui aussi ? L'aimait-on moins pour ça ?

Laissons là l’auto-tune, nous ne lui avons accordé que trop d'importance. Ailleurs et sans recourir à pareils artifices, R+ n’a pas non plus toujours, malheureusement, cette force de pénétration que nous aimons lui reconnaître sur la longueur. Coquins que nous sommes aussi, allez, on aime bien prendre quelques petits coups - mais si un refrain lorgne vers la chanson à boire, soit dit entre nous, nous n’aimons pas ça des masses ("OK", pour "Ohne Kondom"). Au pire et sur fond de musique de foire, les Allemands tuent dans l’œuf l’effet de puissance de couplets à la gloire du victorieux poitrail ("Dicke Titten"). Ils se marrent peut-être encore mais nous, sur l’action, un peu moins quand même. Bon, c’est comme çaaaaaaaaaaaaaaa-ah-là-là-là-làààààà et nous en prenons notre parti. Mais du "Zick Zack" au zigzag, le fil semble ténu. Au bilan, son inégalité fera peut-être de Zeit le grand chapitre ups & downs du fond de catalogue. Oublions, car la corde ne nous mérite point.

Autant terminer sur ce qui va car ouf, il y a des choses qui vont encore. Et pas mal. Rammstein conserve d’abord en chais ce jus ténébreux, cette puissance climatique qui prend au ventre ("Meine Tränen"). L’ouverture "Armee der Tristen" et son appel à rejoindre une foule mélancolique, met tout le monde d’équerre. R+ sait aussi et toujours envoyer ces riffs coups de boutoir qui donneront toujours l’impression qu’Oomph! sonne petit même si c’est faux  ("Angst"). R+ sait aussi et encore, oui oui, glisser des orchestrations judicieuses dans ses mixtures. Et puis le groupe en écrase encore : sur ce qui peut être sauvé de "Lügen" ou sur les lenteurs de ce "Schwarz" qui partage son obsession de la nuit. Finissons par le grand plus car oui, R+ sait dire au revoir : "Adieu", après tant de zigzags, offre splendeur restante. La meilleure conclusion possible.

Reste cette petite impression de bazar ; que ci ou là, il fallait finir quitte à remplir un peu. Désagréable. Rammstein, peut-être, avait-il besoin de respirer. Zeit donne alors l’impression d’avoir cédé, et pour des résultats aléatoires en qualité, à une pulsion récréative. Sans forcément rejoindre un Rosenrot au bas de tableau, ces sessions françaises ne resteront pas comme la trace d’un génie que la crise de la Covid aurait poussé hors de sa tanière. Thanos peut certes mettre un beau boxon, mais il reste avant tout un personnage imaginaire.

Tracklist
  • 01. Armee der Tristen
  • 02. Zeit
  • 03. Schwarz
  • 04. Giftig
  • 05. Zick Zack
  • 06. OK (Ohne Kondom)
  • 07. Meine Tränen
  • 08. Angst
  • 09. Dicke Titten
  • 10. Lügen
  • 11. Adieu