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Album
20/05/2019

Rammstein

Rammstein

Label : Universal
Genre : technological metal
Date de sortie : 2019/05/17
Note : 75%
Photographies : Jens Koch
Posté par : Stëphan Cordary

Un nouvel album de Rammstein est en soi un événement dans le landerneau musical. Dix ans qu'ils n'avaient plus sévi. Mais point de prescription en matière de musique car prononcer le nom de ce groupe peut encore vous exposer à des réactions virulentes : en lice, moult détracteurs et thuriféraires, aux positions souvent inconciliables et reposant sur des motifs se perdant dans des querelles de chapelles ancestrales. Trop d’électronique, de grandiloquence, de provocation ou au contraire pas assez de guitares, commercialement vendu, etc. Bref, cette sortie ne dérogera probablement pas au flot de lumières, n’ayant pas grand-chose à voir avec l’essentiel ici : l’état actuel de l’art des allemands. 

Depuis vingt-cinq ans déjà, les musiciens issus de l’ex-République Démocratique d’Allemagne se sont imposés dans le paysage de la musique aux accents métalliques pour devenir un phénomène exceptionnel en termes de notoriété, malgré une esthétique et une approche musicale moins consensuelles qu’il n’y paraît. R+ a su, depuis ses débuts, séduire son public par une imagerie sulfureuse, parfois d’un goût douteux, mais avec une volonté évidente de rester dans le spectaculaire… au sens noble du terme : les Teutons sont d’abord là pour assurer le show. À grand renfort de pyrotechnie, de corps huilés et bodybuildés et d’un sens aigu de la provocation, ils ont installé une marque, un style, une entreprise très personnels.
Leur musique a évolué de façon relativement marginale. Difficile en effet, lorsqu’on est lié à un style très précis, d’aller chercher l’innovation. Au fil des six albums studios produits (ce qui reste tout compte fait de l’ordre de l’artisanat), la musique de R+ a gardé une constance, une ligne directrice de laquelle ils se sont peu départis. Accents symphoniques par ci, présence plus électrique par-là, mais toujours dans un cadre qu’ils s’étaient fixés au départ : un metal martial, efficacement accompagné d’un chant guttural exprimé dans la langue de Goethe. C’est d’ailleurs au sein de side projects (Emigrate pour le guitariste Richard Kruspe ou l’éponyme Lindemann pour le chanteur) que les membres du groupe vont chercher oxygène, prenant tangente salutaire pour se donner l’envie de continuer à porter un projet aussi absorbant que R+.


 Les Allemands, fidèles à leur réputation, ont choisi l’angle de la provocation pour assurer la promotion de leur nouvel album.  Un clip vidéo du morceau "Deutschland", extrêmement bien réalisé au demeurant, a répondu à l’objet principal d’un tel outil : faire parler du groupe. Certes, on pourrait leur reprocher d’avoir isolé pour le teaser l’élément le plus dérangeant du clip pour en devenir le porte-étendard (on voit dans une séquence d’une trentaine de secondes les membres du groupe en tenue de déportés, la corde au cou et portant l’étoile jaune). Après tout, on rappelle que la provocation a toujours été un outil avec lequel Rammstein aime jouer, autant que le feu. Mais en analysant le fond, en visionnant le clip dans son intégralité, difficile de reprocher à Rammstein l'approche historique de sa patrie. Cette génération assume désormais le passé et son art peut l’évoquer de façon frontale sans avoir à se censurer. L’image est donc devenue avec le temps un vecteur fort pour le groupe. Elle est désormais essentielle, vitale même, et c’est notamment par ce biais que le groupe arrive à exprimer une vision artistique plus libérée.
Malgré tout, elle reste au service de la musique et ce nouvel album est un bon millésime. Rammstein adopte un parti-pris relativement simple mais qui se révèle diablement efficace : des titres martiaux d'un côté, avec une rythmique puissante et un grain de guitare assez rêche ; et d'un autre côté, des titres avec des éléments électroniques plus présents, où l'on sent la volonté d'apporter une certaine nuance (parler de "finesse" serait tout de même exagéré !). La production, comme à son habitude, est massive et c'est toujours un régal que de se laisser emporter par ce torrent d'énergie. Till Lindemann chante particulièrement bien, notamment sur "Puppe" où sa rage dans le refrain se libère furieusement comme jamais auparavant ; ou encore sur "Diamant" où, à l'inverse et sans que ce soit incompatible, il se présente sans artifices face au micro. Un dépouillement saisissant.
 
Les thématiques 2019 de Rammstein sont assez classiques mais on notera une dénonciation remarquable de l'exploitation sexuelle dans "Puppe". Cela étant, certains textes restent plus anecdotiques ("Tattoo"). Le sexe bien entendu est encore très présent ici mais Till Lindemann, conservant par moments son costume burlesque, se met lui-même à jouir de ses propres textes, très satisfait de son effet lorsqu'il part dans un rire digne d'un enfant ayant fait une blague de potache ("Sex").
 
Cet album s’avère in fine bien équilibré, et l'envie de Rammstein de revenir à son ADN véritable est évidente. Ses deux premiers albums accordaient une place toute particulière à l'électronique, ce nouvel opus évoque une forme de retour aux sources ("Radio", "Deutschland", "Weit weg").
Un album des Allemands ne serait évidemment pas complet sans sa "balade" et "Diamant" joue ce rôle à la perfection. Notons également la qualité du dernier morceau "Hallomann" : est ici explorée une veine plus inédite en termes de sonorité et d’ambiance. Le groupe atteint alors un climat dérangeant sans être poisseux. Belle performance pour R+, qui n’a pas toujours fait dans le sensible.
Au final, onze titres à l'efficacité redoutable qui s'écoutent avec beaucoup de plaisir, sans révolutionner outre mesure le travail du combo. Ce sera au cours d’écoutes renouvelées et attentives qu'il faudra chercher ces petits détails qui nous permettent de dire que Rammstein ne fait pas que dans l'épais. Ce disque est à l'image de la pochette d'album (une allumette sur fond blanc) : un objet d’apparence simple mais doté d'un potentiel réel. Le cahier des charges est respecté. On n'en attendait pas moins, pas forcément beaucoup plus.

Tracklist
  • 01. Deutschland
  • 02. Radio
  • 03. Zeig dich
  • 04. Ausländer
  • 05. Sex
  • 06. Puppe
  • 07. Was ich liebe
  • 08. Diamant
  • 09. Weit weg
  • 10. Tattoo
  • 11. Hallomann