Un titre énigmatique et spectaculaire, une couverture qui renvoie aux Caprices de Goya, il n’en fallait pas moins pour que Masha la Sans-Utérus devienne notre première lecture de l’an 2025. Le roman est annoncé comme trash, sordide et décadent dans l’argumentaire qui l’accompagne, mais ce dont je ne me doutais pas, c’est que j’allais autant rire, et apprendre des choses en prime. Car l’univers de Raphaël Eymery est délirant et documenté, bourré de clins d’œil aux spectres les plus pointus du cinéma, de l’art et de la musique.
Faisant suite à son premier Pornarina, qui avait reçu le prix Sade en 2017, Masha La Sans-Utérus s’articule autour de la relation entre deux vieux amis, Lucian et Augustin. Ce dernier a été traumatisé, une cinquantaine d’années en arrière, quand, au sortir d’une séance de cinéma, il se fait agresser par l’abjecte et cadavérique Masha. Depuis, il n’a jamais pu avoir d’autres relations qu’avec des sex dolls en plastique, dont l’inséparable Stoya. Mais en regardant un documentaire intitulé La Parthénophile Avariée, Lucian découvre qu’il existe un institut en Ukraine où l’on soigne les traumatisés de Masha. Parmi les patients se trouvent des artistes aux noms connus comme Walerian Borowczyk, Pierre Molinier, Hans Bellmer ou Nicola Samori. Ils suivent tous une thérapie par l’art, dirigée par le docteur Rachilda, afin de produire la plus sidérante des Mashas et d’expulser la souillure qu’elle a laissée en eux : "chaque homme a en lui un être parasite qui n’agit pas du tout à son avantage". Les deux acolytes partent alors pour s’inscrire à ce programme, mais Stoya, la poupée sexuelle qui les accompagne, va éveiller de nombreuses animosités, dignes du film Grandeur Nature de Luis García Berlanga. Des patients meurent les uns après les autres. Masha s’est-elle réincarnée ? En qui ? Le traumatisme s’est-il déplacé ?
Voici quelques éléments de l’intrigue, mais bien entendu, le livre ne part pas forcément dans les directions où on croit qu’il va nous mener, et les rebondissements sont nombreux. Ce qui nous a plu avant tout dans ce récit, c’est son ton et son ambiance. La sexualité, les matières organiques et la reproduction jouent un rôle fondamental ici, et l’auteur n’a pas peur de nous plonger dans un grand bain de body horror. Si vous aimez l’humour abrasif et parfois scato d’un Chuck Palahniuk ou d’un Harry Crews, vous pourrez y trouver votre compte, en y ajoutant une bonne de dose de Grand-Guignol et une bande-son où le dark ambient mystique prime, de Lamia Vox à Ghosts of Breslau en passant par John Tavener. Au fil de ces pages, on croisera aussi bien les victimes de Jack l’Éventreur que les films d’horreur de Karim Hussain ou des références à Pascal Quignard, comme dans un grand collage jubilatoire, immonde, blasphématoire et pas sérieux. Pour les amateurs de fantaisies macabres et de comédies très très noires.