Livre culte, rendu célèbre notamment par son adaptation non officielle par Alejandro Jodorowsky pour La Montagne Sacrée, ce roman inachevé et posthume de René Daumal, paru initialement en 1952, a enflammé de nombreuses imaginations, dont celle de Patti Smith qui assure la préface et l'épilogue de cette somptueuse édition. En parallèle à l'exposition organisée au Frac Champagne-Ardenne jusqu'au 23 décembre et dirigée par Boris Bergmann et Marie Griffay, Gallimard réédite cette œuvre à la forte charge mystique.
Sous-titré "roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques", Les Monts Analogues nous parle avant tout d'une quête intérieure, celle d'un sommet inaccessible que nous cherchons tous à gravir et auquel nous voulons donner du sens. Ce qui importait à l'auteur, malheureusement décédé trop tôt d'une tuberculose, c'est que la base de cette ascension soit concrète mais son but impossible. Le fait même que le livre se termine sur une virgule et une phrase en suspens donne tout son sens à cette approche visionnaire. Située entre le Ciel et la Terre, sa montagne représente l'union parfaite de l'esprit et de la matière. Elle se nourrit autant de la pensée sacrée indienne, de Gurdjieff que de sa grande connaissance de l'alpinisme qu'il a pratiqué avec ferveur avant de tomber malade.
Une autre source d'inspiration est l'utilisation des drogues à des fins d'ouverture de la conscience et d'illumination, un monde que l'on ne peut atteindre par les moyens ordinaires. On comprend aisément pourquoi l'ouvrage est devenu un symbole pour la contre-culture des années 1960. La constitution d'une communauté sur les voies de la liberté annonce les idéaux hippies initiaux (avant que l'utopie vire au cauchemar dans les années post-Manson). Mais la cause de Daumal était bien plus grande, celle de produire de l'art pour transmettre, à l'antithèse de tout culte de la personnalité. Il écrit : "Le premier préparatif de toute aventure est la croyance en l'autre." Et on est touché par la foi et la générosité de l'écrivain à transcender la douleur qu'il traversait dans la vraie vie pour nous amener à chacun trouver notre chemin, notre "humanité invisible, intérieure à l'humanité visible" (l'idée d'un intermédiaire supérieur à l'intérieur de nous-mêmes pour s'approcher de la vérité), partir en expédition pour comprendre pourquoi on a vécu et qu'est-ce qui nous pousse à vouloir gravir des montagnes et à désirer nous lancer dans une ascension dont on sait par avance qu'elle sera dénuée de fin.
Riche en documentation et en archives (dessins, photographies, témoignages, essais, peintures...), cette édition luxueuse se fait aussi catalogue de l'exposition, avec de nombreux intervenants, autant pour fournir un cadre historique au récit, nous amener à mieux appréhender le travail et la vie de Daumal, que pour l'ouvrir à de nouvelles perspectives à travers les œuvres rassemblées d'artistes variés et inspirés par ce texte. Hautement recommandable, et si vous passez par Reims, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
