Renée Vivien [photo] fut un kaléidoscope. Née en Angleterre, elle s'exprima cependant en français, ayant choisi la capitale Paris comme principal lieu de vie. Son vrai nom était Pauline Mary Tarn, mais ses proches l'appelaient Sappho 1900 et son importance dans l'émancipation des romancières est forte. Attachée à créer des racines (la poétesse grecque Sapho) et à œuvrer dans son temps présent, elle voyage, se lie avec Jean-Charles Brun et prête sa plume à la baronne Hélène de Zuylen, un temps sa compagne. Avec elle, elle usera aussi du pseudonyme Paule Riversdale...
Dans la nouvelle publiée ici, on la découvre sous les traits d'un faux journaliste peu enclin à s'engager dans son travail. Ce plumitif qui a de bons tuyaux, relate dans un style assez neutre ce qu'il a entendu ou rarement vu.
Il suit ainsi une série de faits-divers et de délits autour d'un personnage, Jésus-Christ. Nous sommes bien en cette fin de XIXème siècle, comme en attestent les anachronismes que sont les probables réclames commerciales projetées sur la Lune, les Apaches des faubourgs, la mort par guillotine. Et l'action se déroule en Palestine. Peu de temps après des phénomènes célestes inexpliqués, un pauvre abbé voit son sermon gâché par la conduite d'un insensé au cœur de l'église. Le trouble-fête est envoyé quelques temps à l'infirmerie du dépôt. Pourtant, relâché, il poursuit ses méfaits, utilisant sa force de suggestion pour des guérisons crues miraculeuses par la crédule masse campagnarde (comme de bien entendu). La mégalomanie de ce Jésus n'a de comparaison que son hystérie religieuse ("Ben voyons !", dirait l'autre aboyeur).
Le style pince sans rire (très anglais, de fait) des comptes-rendus de cet envoyé spécial à sa rédaction fait tout le sel de cette succession de brèves.
La situation s'aggrave, les délits se révèlent le ferment d'une révolte qu'on sent poindre dans la bande-son de Nurse With Wound : couinements, grincements, sourires narquois et tensions sourdes.
Le désordre semble mener à la sédition, l'anarchiste professe maintenant des doctrines socialistes et parle même de communisme universel. Autant de vilains mots dont le journaliste zélé ne saisit pas la profondeur. En parallèle, chaque article est précédé d'une citation de Saint Matthieu, Saint Jean, Saint Luc ou Saint Marc à partir de laquelle est rédigé le pastiche de l'épisode biblique.
Évidemment, le coupable châtié est guillotiné. On vole alors mystérieusement son corps au laboratoire et la légende populaire s'empare de ce dernier fait d'armes, créant alors le rêve d'un Messie...
Sous la bizarrerie et l'allégresse de la lecture (mais non du ton, Renée reste toujours sobre), on s'interroge sur la place qu'aurait aujourd'hui un nouveau messie. Cette attente d'un libérateur, d'une personne providentielle qui viendrait sauver notre monde se retrouve en politique et dans notre monde médiatique et culturel (et pas seulement). À l'époque du Christ, ils sont nombreux à prêcher et soulever les foules : Judah le Galiléen, Athrongès qui se révolta contre les Romains, Theudas qui accomplit lui aussi des miracles... Les prétendants connurent tous une fin abrupte. Je ne peux m'empêcher de repenser à la facétie pas si lointaine du maire d'un petit village du sud-ouest. Alors que des bigotes venaient dénoncer en mairie la présence d'un hippie devant le porche de l'église, celui-ci les questionna :
"Mesdames, à quoi ressemble l'individu ?
- Il est torse nu, c'est indécent ! piaillait l'une
- Il a des longs cheveux sales ! renchérissait l'autre
- Et ses chaussures ? taquinait le maire.
- Il va nu-pieds ! clamèrent les simplettes.
- Mesdames, rassurez-vous : c'est Jésus descendu de sa croix !"
En fin de compte, cette petite fable, ce conte de Renée Vivien, comme les affectionnait ce tournant du siècle, pose bien le problème du point de vue, du rejet, du mysticisme, de l'adhésion, de la foi, des manipulations et des réactionnaires. Nul doute qu'en notre époque adepte de fake news, de théories du complot et guettant son sauveur à coups de sondages et de parts d'audience, la parution de ce livre-disque ne soit un chouette pied de nez des Éditions lenka lente à quelques jours de... Noël !