Le claviériste historique de Cure (ex-Thompson Twins / Psychedelic Furs) a prévenu fin avril : le prochain album de Smith, Gallup & co. est quasiment terminé et – déclaration antérieure de quelques mois – sa tonalité serait l’une des plus sombres de son histoire. Peut-être le spleen annoncé se pave-t-il des intentions que présente le nouvel album d’O’Donnell, 2 Ravens.
La réclusion a fait le lit du cru solo 2020. Devon, lieu de résidence : processus de composition nourri des ambiances rurales de l’Angleterre, en lesquelles Roger s’est réfugié à partir de la fin 2016, à l’issue d’une tournée mondiale avec The Cure. Il est deux mondes, séparés : celui d’abord dans lequel O’Donnell contribue à un travail collectif et répond à l’intense sollicitation de l’agenda live d’un groupe grand public. Hôtels, avions. L’autre temps est celui d’un repli : nécessaires retrouvailles avec soi-même, loin de l’effusion des grandes salles, des stades.
Les rives de l’intime processus. 2 Ravens : eyeliner délaissé, pastels automnaux frappés du sceau du minimalisme. En ces lieux, cordes et piano s’entremêlent en douceur : une formule chimique que Roger projetait, du moins initialement, à l’exclusive. "December", en ouverture, laisse d'ailleurs entendre désir de pureté en cette musique ; et ce faisant, traduit l’essence du plan d’origine : deux violoncelles en partenaires de la première partie du disque, quatuor à cordes pour la seconde. Le boisement est l’une des armes de 2 Ravens, le piano d’O’Donnell restant de rigueur et de discrétion. Manière dont l’homme se comporte lui-même sur scène, en contexte groupe.
Mais rester à sa place n’est pas s’effacer. Le boisement des cordes partage discipline commune avec le piano, s’inscrivant dans une économie frôlant austérité. De débordement, vous ne trouverez nulle trace sur 2 Ravens. N’y est capturée que fugacité d’une émotion, et le disque transpire d’une certaine tristesse : un pan de la personnalité d’O’Donnell qui ne se fait jour que dans sa musique. Roger en est comme témoin, lui qui par ailleurs confesse être d’une nature assez heureuse et avenante dans ses rapports sociaux.
Mais d’autres sources que piano et cordes alimentent ces petites rivières : les voix de la chanteuse Jennifer Pague (Vita & The Woolf) complémentent les ossatures. Complémentent, oui : sans jouer les premiers rôles, elles dépassent le strict cadre de l’ornementation. L’apport de Jennifer, abstrait, rivalise en nature, dans les mots d’O’Donnell lui-même, avec celui du violoncelle : un instrument que Roger appréhende, dans une entrevue donnée à Atwood Magazine (NY), comme "substance la plus proche possible de la voix humaine", jouant à ce titre "le même rôle que le chant."
En somme, c’est là un jeu d’intégration. Ondulations du ton réalisées par la dissémination : la voix, invitée mais libre, ne se diffuse que dans la moitié des préparations. Dès lors, son pigment doux fait de 2 Ravens autre chose qu’un recueil d’instrumentations, sans en faire non plus collection de chansons. C’est comme une succession de petites nouvelles.
L’écriture et la forme finale de l’album le font sentir : l’intimisme des trames formule l’intention du seul claviériste, dont les collaborateurs n’ont pas été sollicités une seule seconde avant que le temps de Roger, celui de la partition, soit clos. Au final, 2 Ravens est peut-être l’un des essais les plus personnels d'O'Donnell. L’émotion est une réaction aux choses, et le moteur principal d’un artisanat se révèle dans son jaillissement.
