Pour son premier album solo, après les aventures Electrosexual et Dear Strange, Romain Frequency laisse les beats de côté et propose une aventure auditive contemplative avec Research On A Nameless Colour, paru ce 28 février par le biais de Rock Machine Records. Les sept pièces instrumentales s'inspirent du livre Chroma de Derek Jarman et développent des dimensions cosmiques et cinématographiques. Un pur trip non dénué de mélancolie. Le compositeur a accepté de s'exprimer en exclusivité pour Obsküre sur cet opus plus introspectif.
Obsküre : Research On A Nameless Colour est ton premier album sous ton propre nom. Pourquoi maintenant et pourquoi celui-ci?
Romain Frequency : Après les premiers albums pour Electrosexual (Art Support Machine) et Dear Strange (Lonely Heroes), je souhaitais travailler d´une manière plus introspective, détachée de toutes obligations, et sans pressions. Aussi, les idées et mélodies qui me venaient lors du processus créatif ne correspondaient à aucun de ces projets existants. J´ai naturellement débuté un nouveau projet personnel, sous mon propre nom.
Tu as choisi de délaisser les voix et les rythmes pour une plongée dans la musique ambient et cinématographique, loin des dancefloors. Cela implique d'autres formes d'écoute. Quel est ton rapport à la musique ambient ?
Il était important pour moi de créer ces nouveaux morceaux sans voix ni paroles, très planants et ambient, avec le défi toutefois de faire naître une émotion et proposer une narration, afin de faire passer un message avec seulement l´aide de mélodies. Des "Romances sans paroles" c'est très Verlaine.
Dans une optique plus générale, l´idée était d´étudier des façons de communiquer autres que la parole. Cela a encouragé un univers très cinématographique, une sorte de bande sonore de film imaginaire. L´idée désormais est de créer l´univers visuel qui va illustrer ces B.O. C'est ce que j´ai essayé de faire avec la vidéo de "Perfect Blue".
D´autres illustrations visuelles sont également prévues pour les autres morceaux de l´album.
Tout est ici axé autour de la couleur. Quelle était ton approche de recherche ?
L´idée de travailler sur le thème de la couleur m'est apparue intéressante, car tout le monde a des idées préconçues liées aux couleurs et leurs significations. Choisir des couleurs qui n´existent pas, et les associer à des émotions est une façon pour moi de montrer qu´il est possible d´aller au-delà des apparences et des conventions.
Tu t'es inspiré de Chroma de Derek Jarman. C'est une "autobiographie par la couleur" de quelqu'un qui perd la vue, et qui fait aussi écho à son film Blue. Qu'est-ce qui t'a touché ou inspiré dans cette période finale de sa vie ?
Chroma célèbre l’énergie combative d´un artiste activiste queer qui perd chaque jour un peu plus la vue, jusqu'à quasiment devenir aveugle. À chaque chapitre, Jarman revisite une couleur différente en alternant ses souvenirs d'enfance, ses premières sensations, ses recherches théoriques, son œuvre de cinéaste et le journal de son hospitalisation.
Étant atteint de dyschromatopsie, j´ai trouvé assez ironique et paradoxal de travailler sur une certaine idée de la couleur. Celle que je vois est complètement différente de la perception habituelle, mais je n´ai aucun moyen de comparaison. Cette perspective est très stimulante artistiquement. J´aurais pu appeler l´album "Faits extraordinaires à propos de la vision des couleurs" d´après la première étude scientifique du physicien et chimiste britannique John Dalton sur ce sujet. Pour en revenir à Jarman, je suis un grand fan. C'est un pionnier qui a fleuri dans la marge, cultivant une œuvre subversive et délicate.
La dimension d'ensemble est très onirique. As-tu vraiment travaillé sur l'imagination liée aux rêves et quelles ont été les images auxquelles tu as été confronté dans ton exploration de cette palette d'émotions ?
Ces morceaux sont une transposition d´un certain état contemplatif en sons. Beaucoup de mes idées mélodiques se font au réveil, je devine alors qu´elles ont déjà commencé à l´état d´inconscient, durant la nuit. J´ai parfois l´impression que certains de ces morceaux sont la bande son de rêves oubliés ou abandonnés et nouvellement retrouvés. Ils sont mélancoliques et duveteux, hypnotiques et aériens.
Peux-tu nous en dire plus sur l'artwork du disque ?
Géraldine Arnold, qui travaille d´habitude sur des costumes, m´a offert, au moment de l´élaboration de ces morceaux, un dessin qu´elle a réalisé. Il fait partie d´une série... L´aspect graphique floral explosif et hypnotique et le choix étrange des couleurs m´ont tout de suite séduit pour illustrer celle collection de couleurs inexistantes.
Avec Research On A Nameless Colour, tu crées des espaces sonores très amples. Quelles seraient les meilleures conditions d'écoute ?
Que l´écoute se fasse en intérieur ou extérieur, elle doit impérativement se faire les yeux fermés. Il s´agit d´un voyage intérieur, immobile.