Se détacher, prendre une hauteur par rapport à cet évènement qu’il n’est pas possible de vivre, cet Enfer dans lequel les puissants décident de plonger les populations au nom d’une vision de l’histoire, une mythologie, une illumination. Les décideurs paient rarement dans leur chair.
La chair des chansons de Rome, sur son nouvel EP, vous glacent par la double impression qu’elles laissent, en même temps qu’elles vous transportent : il y a une proximité avec l’évènement, dans la chair des guitares et de la voix. Jerome Reuter a foulé les terres d’Ukraine, cet ouest que la Russie n’a pas encore pris, il y a chanté ces chansons. Il y a aussi cette distanciation qu’il faudrait parvenir à se donner pour mesurer la gravité de ce qui est en train de se passer, notamment sur le pourtour du territoire envahi. Les chansons font conscientiser l’horreur. Les immeubles détruits, les populations civiles en errance ou celles qui se cachent dans les caves, sous le fracas des explosions et des murs qui tremblent. Pour combattre les choses, il faut les nommer, et il est malvenu de parler de "guerre" sur le territoire Vladimir Poutine. L’ennemi ne doit jamais se trouver à l’intérieur.
Jerome Reuter, lui, ne vit pas sur le territoire de gouvernance de M. Poutine. Il peut à sa manière parler de la guerre et concentre une nouvelle fois feu poétique et conscience politique dans ses chansons. Les mélopées ne peuvent certes pas grand-chose contre les missiles ou ce jeu dangereux dans lequel s’aventurent les hommes aux dépens du monde en nous faisant savoir que des combats ont lieu autour d’une centrale nucléaire. Defiance, en se concentrant sur le conflit en Ukraine, nous invite à réfléchir sur ce qu’est le conflit, sur ses ravages, ses ressorts. Rome touche par un menu principal de trois chansons dénudées et profondes en intention. Le peu des voix et guitares est la profondeur de l’EP. Les orchestrations ornent, restons à l'essentiel. Le quatrième morceau, éponyme, consiste en une fabrication climatique duquel émane le bruit des urgences : le feu des sirènes, le vacarme des armes, ce quotidien en lambeaux. Reuter a vu et chanté à Kiev et Odessa, quatre jours avant que commence l’invasion, que commence la GUERRE.
Defiance, dans la simplicité de sa beauté, formule une réaction émotionnelle pure. Elle nous ancre dans une réalité abjecte en même temps que les chansons rassérènent par les fragments de lumière qu’elles dispersent. Un pied dedans, un pied dehors.