Si Jerome Reuter a depuis longtemps installé ferme intention en musique (milieu des années 2000, premières parutions chez CMI), le Luxembourgeois parvient, avec Rome, à surprendre encore à l’aube d’une vingtaine de parutions effectives. Exploit d’un instinct. Cette fois, son projet se pare d’atours plus ouvertement synth-pop, voire dansants : évolution sensible et qui pourrait intéresser, carrément oui, les adeptes de Depeche Mode. "No second Troy" parle pour lui, au même titre que "Hearts Mend". Reuter assume ici un choix conscient, "délibéré", et sans doute encouragé par la passion de Tom Gatti, son comparse en musique, pour le monde des synthétiseurs analogiques. Le synthétiseur : un outil comme un autre. Alors ce que le public pourra percevoir comme un exotisme ou une astuce inattendue chez Rome, se résume à peu de chose pour celui qui y recourt. Un outil n’est que ce qu'il est, et puis ce n’est pas comme si les sons de synthèse, le bruit, le son hors celui des instruments acoustiques ou électriques, jusque dans la matière empruntée à l’environnement, étaient étrangers à Rome. Ces sources ont déjà alimenté ce travail, quand bien même leurs vibrations cadenassaient une plus austère esthétique.
Pour autant, Hegemonikon, qui pourrait à l’issue d’une écoute distraite laisser l’impression d’une insouciance née en le protagoniste principal, trompe son monde. L’impression est fausse, répétez les écoutes. Le citoyen du monde, dont la route a croisé physiquement celle de l’Ukraine le temps d’un soutien caritatif (c’était à l’aube des évènements que vous connaissez, à Odessa et Kiev, en février de l’année dernière, avant un dernier show en juillet, dans les bruits de la guerre), aère certes son propos de temps à autre – et ceci, bien sûr, pourra être perçu comme un allègement de la forme. Prenez "Surely Ash" : de plastique allégée mais de fond grave, c’est l’amour en souffrance. Or cette gravité demeure dans les climats ("Icarus Rex"). Reuter reste un chansonnier du drama, de l’intériorité travaillée, des affres de la mémoire collective. Ses nouvelles chansons sont fortes (notre préférée, sur l’action, restera "Solar Ceasar") mais nul ne sait, sauf lui, si ce relatif allègement se poursuivra sur un prochain album quasiment abouti et consacré, cette fois complètement, à l’Ukraine. Les réalités vécues, et notamment celles qui horrifient, ont de sérieuses chances de se retrouver dans ce que vous faites.
Pour l’heure, Reuter arpente encore, avec Hegemonikon, les sombres sentiers de l’histoire des hommes. Il y croise à nouveau la violence autocratique : celle qui veut asservir ou, à défaut, vous faire fuir. Flowers Of Exile, en 2009, le racontait déjà. Ceux qui veulent s’établir, dominer voire monter des Empires sont dans l’idée d’ordonner, au sein de ce qu’ils perçoivent comme le chaos du monde.