Ah ! Rosetta Stone ! Ce nom sonne doux aux oreilles des vieux goths. En pleine descente des Sisters Of Mercy, ils ont été nombreux à s'inspirer des maîtres et Porl King et ses comparses le faisaient sans arrière-pensées, reprenant même le lettrage et la présentation des classiques d'Eldritch (le Merciful Nuns d'Artaud [Garden Of Delight] feront de même bien plus tard).
Cette vague de rock gothique bien codé sera marquée par une étonnante profusion de groupes*, et il faudra attendre le milieu des années 1990 pour que des souffles neufs (darkwave, indus-metal, future-pop, heavy-goth ou folk-goth, renouveaux batcave et deathrock...) ne viennent balayer la sclérose qui alourdissait le genre.
En 2020, le revival bat son plein, multipliant les formes clamant allégeance aux années 1980 (synth-pop, minimal wave, 80's pop, mais aussi le décrié rock gothique...). Avec ces groupes, apparaissent de nouvelles têtes de proue qui font chaud au cœur (She Past Away, Kill Shelter, certains titres de Lebanon Hanover dans le registre dont on parle ici). Alors, pourquoi ne pas se pencher de nouveau sur le cas de Rosetta Stone, vingt-neuf ans après son bon premier LP, vingt ans après son split ? L'an passé, l'album Seems Like Forever était sorti dans une indifférence forte (il s'agissait essentiellement du remodelage de titres signés Miserylab, l'un des autres projets de Porl), ce qui n'empêche pas Rosetta Stone et le label Cleopatra de remettre ça, avec dix titres qui déboulent sans crier gare, mais font déjà jaser chez les spécialistes.
Tout au long de sa courte carrière discographique, Rosetta Stone aura tenté de se renouveler ; avec ce nouvel opus, Porl King en solo préfère revenir aux sources. La basse domine, la guitare sonne aigre, la batterie est réglée de façon métronomique (la vieille boîte à rythmes, Madame Razor, est-elle toujours en service ?) et les mélodies sont simples. La voix, gutturale et grave, n'en fait pas trop : on est en terrain connu, avec des titres qui défilent sans (mauvaise) surprise. Mieux, arrivé au troisième, "With this (I'm done)", on tient un morceau bien sympathique qui sort du lot : le chant est bien troussé, les harmonies alternent héroïsme et mélancolie. Un peu plus loin, "Soon" joue de la répétition qui tue.
C'est fatal, on entre dans l'album à reculons, puis on lui trouve plein de petits attraits, qui doivent en partie à la nostalgie (le son est très daté) mais aussi un peu au talent. Les agencements de guitares, classiques, tiennent la route et font mouche dans ce registre, d'autant plus lorsque la mélancolie se fait plus forte (l'émouvant "Remember (don't)"). La teneur pop d'un titre comme "I put it to You" aère aussi le propos, même si on regrette un son un peu trop plat, non actualisé : les compositions manquent de rondeurs et de dynamique ("Soon", "Doesn't bode well" qui sonne comme une démo). Ainsi, le final tellement Sisters Of Mercy intitulé "Always, always" aurait mérité une ampleur qu'il n'a pas, histoire d'écraser le maître déchu. Petite pique ou hommage : le démarrage copie sans vergogne la face B "Train" du single Body And Soul des SOM, tandis que la voix est noyée d'échos, comme au bon vieux temps. Porl King maîtrise son sujet ; reste à travailler le relief sonore pour conquérir un trône âprement et vainement disputé : n'y aurait-il pas, en effet, plus de projets que de fans de ce son-là ?
______
* Pour la période 1985-1995, on peut lister sans exhaustivité Clan Of Xymox après un premier album plus riche que ça, Mary Goes Round, Tenebre, Lucie Cries, Tors Of Dartmoor, The Danse Society, Ikon, Love Like Blood, The March Violets, Play Dead (mais pour eux, qui s'inspire de qui ?), Red Lorry Yellow Lorry, Two Witches, Xmal Deutschland, Brotherhoods Of Pagans, The Merry Thoughts...